Le militantisme écologique, qui s’exprime chaque jour davantage, sous des morphologies toujours plus ambitieuses, et l’insuffisance des décisions prises en matière climatique inspirent un sentiment nouveau : l’éco-anxiété. Explications.
L’activisme environnemental alerte autant qu’il tourmente et l’indolence gouvernementale qui le nourrit accroît l’éco-anxiété. Les manifestations liées à l’inaction étatique, qu’elles soient portées par une brique de soupe, une casserole de purée ou un tube de colle, participent de ce sentiment. Arrêtez de vous enduire les doigts de colle et rassurez-vous : ils savent. C’est juste qu’ils ne font rien. Pour ce qui est des convictions, si 62 000 hectares de forêts réduites en cendres en 2022 n’ont pas fait vaciller les leurs, un peu de soupe sur un dessin de tournesols ne semble pas apte à y parvenir.
Vert, ça y est !
Alors que le deuxième "dring" du téléphone de la Maison Blanche retentit, une main fougueuse quoique ridée s’empare du combiné filaire. D’abord rieur, le visage de Joe Biden s’assombrit, à mesure que l’on lui narre l’inénarrable : en Allemagne, neuf activistes se sont collés au sol d’une usine Volkswagen en signe de protestation contre l’impact environnemental de l’industrie automobile. Au milieu des "Jesus !" , "Unbelievable !" et autres "You've got to be kidding me...", le président des États-Unis réclame d’un petit homme au visage rond et au costume ample, qu'il le mette en communication avec John Kerry, son envoyé spécial chargé de la lutte contre le réchauffement climatique. Étonnamment, c’est en français qu’il répond au "Allô ?" somnolent de son interlocuteur : "Des activistes se sont collés au sol d’une usine de voitures en Allemagne, John ! Il faut absolument faire quelque chose pour le climat !" Ensemble, ils décident alors de sauver la planète parce que, tout de même, quand les gens se collent au sol en vertu de leur combat climatique, c’est bien qu’il y a quelque chose qui cloche. Cette conversation n’a jamais eu lieu. Se coller au sol ne rectifiera ni le réel ni sa lecture.
"L’activisme environnemental alerte autant qu’il tourmente et l’indolence gouvernementale qui le nourrit accroît l’éco-anxiété"
Routine spirit
Deux solutions s’offrent à l’éco-anxieux : regarder ailleurs ou s’engager corps et âme dans la lutte. Détourner le regard constitue la résolution la plus accommodante mais nécessite une légèreté absolue. L’engagement, par quelques petits gestes anodins, dont nous tenterons de détailler les plus efficaces, revêt un caractère plus apaisant tout en exigeant une certaine discipline à l’usage. De manière générale, une gourde et une bicyclette suffiront à vous faire passer pour un protecteur entièrement dévoué à sa planète, quitte à ce que l’on vous surnomme Greta Thunberg pendant une ou deux semaines, le temps que les dernières émotions souriantes que peut motiver une telle comparaison ne se dissipent. Au bureau, arborez un col roulé. Notez toutefois qu’un tel vêtement pourrait vous coller l’étiquette de jusqu’au-boutiste, le col roulé dénotant d'une forme de radicalité idéologique dans la lutte contre le réchauffement climatique. Chez vous, l’adoption d’un shampoing solide et l’achat de fruits de saison devraient juguler toute culpabilité. Tant que la locution "Il n’y a plus de saisons" demeure imagée.
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Les limites de la planète commencent à s’exprimer et à bousculer l’inertie générale, mieux que n’en seront jamais capables tous les impressionnistes modernes, militants adhésifs compris. Alors profitons de la douceur inespérée de ce mois d’octobre et rêvons du bel été qui s'annonce dès l’automne.
Alban Castres