Entre juin et décembre, le gouvernement entend publier trois livrables où il déclinera son programme pour la biodiversité. Le premier, déjà dévoilé, porte sur le plan eau mais les entreprises ne devront pas limiter leurs efforts à la préservation de l’or bleu. Sarah El Haïry, secrétaire d’État chargée de la Biodiversité, revient sur les actions volontaires et contraignantes proposées aux sociétés afin de préserver leur environnement.

Décideurs. L’accent est de plus en plus mis sur la prise en compte par les entreprises de la biodiversité alors qu’auparavant on parlait surtout de leurs émissions de CO2. Pourquoi ?

Sarah El Haïry. Les entreprises ont bien intégré la question des gaz à effet de serre. Mais le combat pour le climat et celui pour la biodiversité sont jumeaux. Ce sont les deux faces d’une même pièce. Trop souvent, la face biodiversité reste un angle mort pour les entreprises et leurs financeurs. Pourquoi ? Parce que pendant longtemps il était difficile de quantifier son impact et d’avoir conscience de sa dépendance à la nature. Aujourd’hui, la prise de conscience s’opère avec l’effondrement du vivant. Mais il faut aller plus loin. Nous vivons la sixième extinction de masse, causée exclusivement par les activités humaines. La moitié du PIB mondial, soit plus de 44 000 milliards de dollars, est liée à des services rendus gratuitement par la nature. Des secteurs d’activité entiers se retrouvent fragilisés, comme l’alimentation ou la construction. Ne pas avoir conscience de sa dépendance à la nature, c’est condamner son activité à terme.

A-t-on aujourd’hui les moyens de mesurer l’impact des entreprises sur la biodiversité ? Y a-t-il des indicateurs fiables comme les émissions carbone qui mettent tout le monde d’accord ?

L’idée qu’il faudrait un équivalent de la tonne carbone pour la biodiversité existe. Mais il ne faut pas l’attendre pour réduire son impact sur la biodiversité et restaurer la nature. De nombreux outils commencent à se développer afin de diagnostiquer l’impact des entreprises sur leur écosystème. D’ici à la fin de l’année, la France transposera la directive européenne CSRD, qui vise à harmoniser les reportings de durabilité des entreprises. Cela va permettre aux sociétés d’investir, de renforcer leur politique en faveur de la biodiversité et de l’intégrer dans leurs documents extra-financiers afin de mieux la piloter et communiquer dessus. Seront concernés les groupes de plus de 500 salariés puis, d’ici à 2025, les entreprises de 250 à 500 collaborateurs. Je souhaite que les entreprises françaises soient les premières à s’engager dans cette démarche. Par ailleurs, en septembre, la TNFD (groupe de travail sur le reporting financier lié à la nature, NDLR) a publié ses recommandations en vue de mesurer l’impact des investissements financiers sur la biodiversité. L’arrivée de la directive CSRD et du cadre de la TNFD va permettre de constituer un bouclier qui protégera cette biodiversité et notre économie. Je porterai dans les prochaines semaines une initiative ambitieuse sur ces sujets pour mobiliser nos acteurs économiques et financiers.

"Les retombées de la restauration et de la protection de la nature se constatent immédiatement"

Est-ce que, à l’instar de la lutte contre les émissions carbone, il n’y a pas un risque que les sociétés s’achètent une bonne conduite à peu de frais à travers des actions qui en réalité ne compensent pas leur impact ?

Sur la question de la biodiversité, il existe moins de risques de greenwashing car le modèle économique des entreprises repose sur la nature qui les entoure. Par exemple, une société qui dépendrait de prélèvements en eau et qui n’aurait pas mis en place de circuit fermé se trouverait sous les mêmes contraintes de restriction préfectorales que tous les citoyens en cas de pénurie. Alors que pour la diminution des gaz à effet de serre l’exercice est mondial, pour la biodiversité celui-ci peut s’avérer très local. Les retombées de la restauration et de la protection de la nature se constatent immédiatement. C’est gagnant-gagnant pour tout le monde. Plus on protégera notre environnement, plus notre cadre vie s’améliorera et plus notre modèle économique sera résilient.

Comment convaincre les entreprises ? Uniquement avec des arguments économiques ?

Pas seulement. J’ai vu des entreprises très en avance qui réduisent déjà leur dépendance et leur impact, que ce soit en matière environnementale ou sociale. Ces engagements sont notamment importants pour leur marque employeur. Nous voyons bien les tensions sur le marché du recrutement. Les entreprises doivent également s’interroger sur la place qu’elles veulent avoir dans le projet du territoire où elles sont implantées.

"Les entreprises doivent s’interroger sur la place qu’elles veulent avoir dans le projet du territoire où elles sont implantées" 

Comment le gouvernement décline-t-il son programme en faveur de la biodiversité ?

En mars dernier, le président de la République a présenté le plan eau. C’est le premier livrable de planification écologique pilotée par la Première ministre. Un certain nombre de mesures concernent les entreprises. Par exemple, nous identifions et accompagnons les 50 sites industriels avec le plus fort potentiel de baisse de leur consommation d’eau afin qu’ils participent à l’objectif d’au moins -10 % de prélèvements en eau d’ici à 2030. Le prochain livrable de la planification sera dévoilé d’ici à novembre : la stratégie nationale de biodiversité que je porte. Enfin, un autre est attendu pour décembre et organisera l’adaptation de notre pays aux effets du changement climatique. Car, même si le gouvernement est pleinement mobilisé pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré à l’échelle de la planète, il faut envisager de moins bons scénarios dans le cas où les autres pays ne feraient pas leur part de l’effort. Gouverner c’est prévoir.

Quel type d’écologie portez-vous ?

Je porte une écologie à la française, une écologie de progrès qui n’est pas punitive. C’est une écologie qui n’est pas dans le déni, qui a conscience qu’à horizon 2050 le débit des rivières pourrait chuter de 40 %. C’est également une écologie des solutions. Mon travail consiste à accompagner les grandes mais aussi les petites et moyennes entreprises à prendre conscience de leurs dépendances à la nature. Nous travaillons par exemple avec Bpifrance et l’Ademe sur l’élaboration d’un autodiagnostic à destination des TPE et PME pour leur permettre d’évaluer leur impact sur la nature. Nous planchons par ailleurs sur un certain nombre d’engagements volontaires. Les Comex et les directoires des sociétés doivent se former à la biodiversité comme ils se sont formés au climat. Aujourd’hui la France a un quart d’heure d’avance. Nous devons nous engager afin de le conserver et ainsi répondre au défi du siècle.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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