Face à l’extinction accélérée des espèces, la destruction des milieux naturels, les attentes sont fortes. Pourtant, si des mesures de protection de la biodiversité ont été récemment adoptées, force est de constater qu’elles régressent dans un contexte mondial de crise énergétique. 

 

La tendance réglementaire au renforcement de la protection de la biodiversité impacte de nombreux projets, en premier lieu desquels les projets immobiliers qui, avec l’adoption de la loi "climat et résilience" du 22 août 2021 et l’instauration de l’objectif "zéro artificialisation nette", sont contraints de s’implanter sur des surfaces déjà artificialisées. Par ailleurs, la faisabilité de ces projets et leur mise en œuvre sont désormais organisées par l’interdiction de la destruction d’espèces ou d’habitats protégés et la séquence "éviter-réduire-compenser". Lorsqu’ils impliquent une atteinte notable aux espèces protégées et à leurs habitats, une dérogation ne peut être accordée que sous trois conditions cumulatives énumérées à l’article  L. 411-2 du Code de l’environnement: 1/ l’absence d’autre solution satisfaisante, 2/ le maintien, dans un état de conservation favorable, des espèces dans leur aire de répartition naturelle, 3/ la satisfaction d’un intérêt relevant soit de la protection de la faune, de la flore ou des habitats, soit de la prévention de dommages importants à des espaces privés de culture ou d’élevage, de forêts ou d’eaux, soit pour des raisons d’intérêt public majeur (RIIPM). Or, la jurisprudence du Conseil d’État a récemment modifié l’ordre d’examen d’une demande de dérogation "espèces protégées" en érigeant en critère principal la RIIPM, dont il impose une interprétation stricte. Nombre de projets sont ainsi abandonnés en raison, soit du rejet de la demande de dérogation "espèces protégées", soit de l’annulation de la dérogation par le juge au nom de la protection de la biodiversité.

Pourtant, cette tendance au renforcement de la protection de la biodiversité se heurte à l’objectif, également très actuel, d’accélérer les procédures encadrant les projets d’implantation d’installations de production d’énergies renouvelables

Sur le plan pénal, la loi "climat et résilience" a ajouté au Code de l’environnement une incrimination générale des atteintes au milieu naturel "en violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité" (article  L. 231-1), qualifiée d’écocide lorsqu’elle est commise de manière intentionnelle, c’est-à-dire dans l’objectif de causer une atteinte au milieu naturel (article L. 231-3). La loi a également institué des délits réprimant la mise en danger de l’environnement, caractérisés lorsque les délits existants en matière d’ICPE/IOT, de déchets et de transport de marchandises dangereuses "exposent directement la faune, la flore ou la qualité de l’eau à un risque immédiat d’atteinte grave et durable". La répression pénale des atteintes à l’environnement et aux espèces devrait connaître une harmonisation renforcée au niveau européen, puisqu’une proposition de directive "relative à la protection de l’environnement par le droit pénal", remplaçant la directive de 2008, devrait être adoptée courant 2023. Pourtant, cette tendance au renforcement de la protection de la biodiversité se heurte à l’objectif, également très actuel, d’accélérer les procédures encadrant les projets d’implantation d’installations de production d’énergies renouvelables. 

La biodiversité: fusible de l’accélération des procédures ?

Aux fins d’atteindre ses objectifs de réduction de production de gaz à effet de serre, la France s’est donnée pour but de multiplier par dix sa capacité de production d’énergie solaire et de déployer 50 parcs éoliens en mer d’ici à 2050. Pour ce faire, le gouvernement mise sur l’accélération des procédures, au détriment, sans doute, de la biodiversité. Ainsi, le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, voté par le Sénat et transmis le 7 novembre 2022 à l’Assemblée nationale, prévoit en premier lieu un régime dérogatoire temporaire (quatre ans) de réduction des délais d’instruction des demandes d’autorisation environnementale et de consultation du public. Les procédures d’évolution des documents d’urbanisme permettant l’implantation des projets d’énergies renouvelables et leur raccordement aux réseaux seront également accélérées avec une simplification des modalités de consultation du public. Aux termes du projet de loi susmentionné, les projets d’installation ou de stockage d’énergie renouvelable, de gaz bas carbone ou d’hydrogène renouvelable ou bas carbone seront réputés répondre à une RIIPM dès lors qu’ils satisferont à certaines conditions. Si ces conditions reprennent les critères jurisprudentiels de la  RIIPM, selon l’avis du Conseil d’État, ils réduisent néanmoins la marge d’interprétation de l’administration et du juge. Le Conseil national de la transition écologique s’est montré divisé sur cette reconnaissance "automatique" de la RIIPM et a annoncé qu’il sera vigilant à la mise en œuvre des mesures de compensation, intégrant la séquence "éviter-réduire-compenser. "

Pour finir, un décret du 29 octobre 2022 modifie le régime contentieux applicable aux décisions relatives aux installations de production d’énergie renouvelable et aux ouvrages de transport et de distribution d’électricité: un délai maximum de dix mois est désormais imposé aux tribunaux administratifs et cours administratives d’appel pour le traitement de ces litiges. Une telle réduction est considérable, compte tenu des délais « habituels » de dix-huit mois voire deux ans et interroge nécessairement sur les risques d’atteinte au contradictoire en présence de débats techniques. Finalement, bien que l’accélération des énergies renouvelables contribue à limiter la destruction des espèces en ralentissant le réchauffement climatique, elle altère concomitamment certains garde-fous.

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Joanna Peltzman est responsable de la pratique environnement du bureau de Paris d’Osborne Clarke. Elle exerce depuis plus de quinze ans en droit de l’environnement et regulatory, tant en conseil qu’en contentieux. Elle intervient sur les problématiques réglementaires en lien avec les secteurs suivants : environnement, santé, immobilier, agroalimentaire et industrie.

Auriane Quilan travaille aux côtés de Joanna Peltzman. Elle assiste les clients français et internationaux, tant en conseil qu’en contentieux, dans tous les domaines du droit de l’environnement, notamment droit de l’environnement industriel, droit de l’économie circulaire, droit de l’énergie sur les sujets de RSE et de développement durable des entreprises.

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