La surconsommation, qui traduit un niveau de consommation triomphant des besoins normaux, a depuis quelques années son saint patron, le Black Friday. Avant de se ruer dans une insignifiante chasse aux bonnes affaires, interrogeons-nous sur les enjeux d’une telle célébration.

Importé en France en 2013, à l’initiative d’Amazon et d’Apple, le Black Friday s’insère aux États-Unis, berceau du rêve américain, entre Thanksgiving et Noël. Une période dont la symbolique en France reste limitée, ce qui n’empêche pas les marques de se prêter au jeu. Trois jours durant lesquels la société de consommation évolue en société de surconsommation, au détriment de la sobriété et en dépit du bon sens.

Après le continent de plastique, la montagne de pulls

Le bonheur c’est d’avoir

Cet encouragement à la surconsommation, au-delà de son caractère dérisoire, envoie un message contradictoire aux exhortations à la sobriété, appelle une forme de compulsion déplacée et détachée des enjeux environnementaux. Les décroissants, véritables huluberlus modernes, sont congédiés au profit de consommateurs avisés, qui font le pied de grue devant les magasins pour se disputer des articles qu’ils remiseront dès le lendemain à la cave. Après le continent de plastique, la montagne de pulls. Au Chili, une décharge de vêtements accueille des textiles usagés du monde entier au beau milieu du désert d’Atacama. Mais la société est ainsi faite, que si notre prochain brandit le dernier smartphone, on le lui envie, et le capitalisme impose que si la boutique voisine casse les prix, on le fasse aussi. Fabrice Bonnifet, président du C3D et directeur développement durable & QSE du groupe Bouygues, résume : "Comment inciter à acheter des choses dont le plus souvent, nous n'avons pas besoin, avec de l'argent que nous n'avons plus, pour in fine impressionner des gens qui s’en fichent". Cette kermesse du consumérisme, liturgie du libéralisme, façonne une demande de toutes pièces et invente les conditions pour qu’une offre y réponde. Une photo de hamburger est en mesure de faire saliver n’importe quel chaland qui en oublie qu’il a déjà le ventre plein. De la même manière, il suffit que des publicités professent que c’est le moment de consommer pour que nos cerveaux s’éteignent et que nos cartes bleues fument.

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Affaire au rabais

Le Black Friday est bruyant, coloré et intensif. Il impose un sentiment primaire mais humain qui consiste à se dire qu’il serait dommage de passer à côté d’une bonne affaire. Ce n’est pas tant la lancinante amertume du besoin qui chuchote sinon l’appel puissant du dérisoire qui se matérialise. Dès lors, qu’est-ce qu’une bonne affaire ? L’association de consommateurs UFC-Que choisir a considéré les prix de milliers d’articles commercialisés en ce glorieux vendredi en France. Il en résulte que la moyenne des réductions effectives, pour chaque article, n’excède pas 2 % malgré des affiches babillardes promettant des rabais de l’ordre de 50 % car "tout doit disparaître". Dans ces circonstances, une bonne affaire peut résider dans le fait de ne rien acheter. Gardons dans un coin de notre tête que ce pull beige à col cheminée fabriqué au Vietnam, dont la part de laine se révèle inversement proportionnelle à la promotion affichée, n’est probablement pas avare en démangeaisons. Pour le besoin il y a les soldes, pour la pulsion le médecin.

Quand les prix chutent, tout le monde paye

Contre-entreprise

Malgré tout, le discernement prospère et des initiatives fleurissent. Le collectif "Green Friday" s’interpose face à "une production excessive et irraisonnée". Si cette hyperproduction demeure c’est que l’hyperconsommation lui donne la réplique. Il appartient donc au consommateur de se mobiliser en faveur d’une consommation responsable. Par ailleurs, Greenpeace invite, depuis 2017, à "ne rien acheter" lors du Black Friday. La contestation peut même prendre des formes plus brutales à travers le blocage d’entrepôts ou de centres commerciaux sous le slogan "Block Friday". Côté législatif, le Black Friday a fait l’objet d’un amendement au projet de loi anti-gaspillage. Delphine Batho s’est proposée d’intégrer la publicité liée au Black Friday aux "pratiques commerciales agressives" en vertu de la lutte contre la surconsommation. L’Assemblée nationale s’est montrée favorable à ce texte sans que rien n’évolue vraiment dans les faits.

Le Black Friday, au-delà du désastre environnemental auquel il donne lieu, participe d’une déroute intellectuelle et d’une faillite sociale qu’il convient de signaler. Quand les prix chutent, tout le monde paye.

Alban Castres

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