Si les agriculteurs sont de moins en moins nombreux en France, leur rôle est important et symbolique. Un pouvoir qui se met la profession à dos risque de perdre très gros. La preuve en chiffres.
Le couvercle a sauté. Depuis près d’une semaine, les agriculteurs de l’Hexagone font part de leur colère. C’est comme si de multiples difficultés qui couvaient de longue date "explosaient" d’un seul coup à la face de l’État. Pour le gouvernement, l’heure est grave tant cette population occupant un poids symbolique dans la société connaît des jours sombres.
Une profession en souffrance…
Bien qu'imprécis, les chiffres du Sénat ou de la MSA concordent : des centaines d'agriculteurs se suicident chaque année dans la quasi indifférence de la classe politique et médiatique. La profession se paupérise à toute vitesse du fait de la hausse des prix des matières premières et des règles internationales. Les chiffres de l’Insee sont implacables. Si les grands céréaliers des départements du Bassin parisien ou les viticulteurs renommés s’en sortent, 26 % de la profession vit sous le seuil de pauvreté défini à 1 106 euros par mois. Et pourtant, ces professionnels ne comptent pas leurs heures puisque 71 % d’entre eux déclarent travailler au moins un dimanche par mois contre 22 % de la population nationale. Si l’on prend en compte le salaire par heure travaillée, cultivateurs et éleveurs sont de loin les métiers les moins bien rémunérés. Sans surprise, cela ne suscite guère de vocations. La moyenne d’âge des professionnels du secteur primaire est de 50 ans et la relève ne se presse pas au portillon.
… Mais aimée des Français
Maigre consolation, qui ne nourrit pas son homme, les agriculteurs sont particulièrement populaires. Chaque printemps, à l’occasion du Salon de l’agriculture, l’Ifop en collaboration avec Ouest France publie un baromètre sur la popularité des agriculteurs. Les années se succèdent et leur cote de popularité reste au beau fixe. En mars 2022, leurs collègues de l’Ipsos avaient démontré que 91 % des Français avaient une bonne opinion d’eux. Ils seraient même la quatrième profession préférée des Français derrière les pompiers, les infirmiers et les médecins. Pour l’anecdote, les moins aimés sont les banquiers et les agents immobiliers…
D’un point de vue arithmétique, le gouvernement ne peut se permettre d’avoir les électeurs contre lui
Un poids électoral toujours important
Évidemment, le soutien apporté aux agriculteurs est indispensable pour augmenter leur bien-être, éviter des drames humains, susciter des vocations, favoriser la transmission d’exploitation, améliorer l’autosuffisance du pays et mieux nourrir la population. Mais, d’un point de vue "arithmétique", le gouvernement ne peut se permettre d’avoir les agriculteurs contre lui.
Sur le papier, le poids de ces derniers est peu important puisque, selon l’Insee, ils ne sont que 1,5 % de la population active contre 7,4 % il y a quarante ans. Mais attention à ne pas s’arrêter à ce chiffre. À l’occasion de l’élection présidentielle de 2017, les chercheurs Bertrand Hervieu et François Purseigle ont tenté d'établir le poids réel du vote agricole. Selon eux, si l’on intègre "les familles, les emplois induits dans les industries agroalimentaires et les organisations professionnelles agricoles, 17 % du corps électoral est de près ou de loin lié à l’agriculture". Et encore, leur travail ne prend pas en compte le fait que la majorité des Français (peu importent leur origine, leur lieu d’habitation ou leur religion) descendent d’agriculteurs et s’identifient à cette profession qui, par ailleurs, incarne de nombreuses valeurs françaises symboliques. Parmi elles, la gastronomie, les terroirs, l’identité régionale. Cela fait dire aux chercheurs que si une élection nationale "ne se gagne pas avec les voix des seuls agriculteurs, elle peut se perdre avec leurs collatéraux ou les gens avec qui ils travaillent".
On comprend mieux les déplacements des principaux leaders politiques dans les exploitations du pays. Les mouvements d’agriculteurs en colère aux Pays-Bas ou en Allemagne sont concomitants avec l’avancée de l’extrême droite qui joue la carte antisystème. Jordan Bardella et le RN tâchent de capitaliser sur la colère. De son côté, Gabriel Attal s’est déplacé ce week-end dans le Rhône pour écouter les doléances de la profession et tenter d’éteindre l’incendie.
Lucas Jakubowicz