Les investisseurs ne souhaitent plus placer leur argent n’importe où. Si la quête de profit est toujours centrale, les aspects éthiques et environnementaux entrent de plus en plus en ligne de compte. Pour les guider, ils peuvent compter sur le Chief Impact Officer, un métier appelé à prendre de l’importance dans les années qui viennent.
Le monde du travail fourmille de nouvelles fonctions dotées de sigles en anglais. Certaines ne sont que des métiers "classiques" à l’intitulé modernisé, d’autres font parler d’elles pendant quelques années puis passent de mode. Ce fut notamment le cas du Chief Happiness Officer qui a suscité un bref emballement médiatique avant de tomber dans l’oubli. Le Chief Impact Officer, quant à lui, n’entre dans aucune des deux cases. Non seulement il s’agit d’une profession nouvelle, mais elle semble être promise à un bel avenir. Focus sur un rôle qui devient incontournable dans le monde de la finance.
Accompagnement actionnarial
Marie de Muizon est Chief Impact Officer chez Atlas Responsible Investors, jeune société de trois ans d’âge spécialisée dans l’investissement responsable. Pour le moment, la structure fondée par Quentin Dumortier a investi dans une quarantaine d’entreprises cotées. Mais hors de question de travailler avec des groupes peu respectueux des questions sociales et environnementales. C’est là qu’intervient Marie de Muizon qui participe à "un processus de sélection d’entreprises pionnières en développement durable. Nous définissons un univers d’investissement en cohérence avec les objectifs de développement durable de l’ONU". Parmi ces thématiques, la transition énergétique, l’alimentation durable, la santé, l’inclusion financière ou la consommation responsable. Au quotidien, Marie de Muizon sélectionne les entreprises qu’elle juge les plus avancées et innovantes. Cela l’amène à coordonner un "travail de recherche ESG, de veille sur l’innovation durable et une animation de panels d’experts pour construire des thèses d’impact sur chaque investissement". Une fois la société idéale sélectionnée, Atlas ne se contente pas d’une activité d’investissement : "Notre travail d’engagement actionnarial nous pousse à aider les entreprises dans lesquelles nous investissons à aller plus loin dans leurs engagements sociaux et environnementaux pour mettre en place un capitalisme encore plus vertueux."
Construction de KPI
Aider le capitalisme à être plus vertueux, c’est aussi la mission de WeeFin, qui se présente comme une fintech à impact. Elle développe une plateforme qui s’adresse aux asset managers, asset owners et autres wealth managers. La solution permet aux clients de la start-up de grouper tous les process ESG au même endroit. Le tableau de bord vérifie en temps réel que leurs investissements sont véritablement responsables. Société Générale, Natixis, La Financière de l’Échiquier ou Richelieu Gestion font partie des utilisateurs.
Pour que la plateforme soit fiable, les KPI doivent l’être également. C’est là qu’intervient Sabrine Aouida, CIO du groupe. Elle participe à définir les indicateurs à prendre en compte pour s’assurer que les investissements soient réellement responsables. "Ces KPI sont définis sur mesure et actualisés en continu", détaille-t-elle. Elle prend en compte non seulement la législation en vigueur mais aussi des facteurs tels que l’exclusion des énergies fossiles.
Un travail loin d’être aisé puisqu’il va au-delà de la simple vérification du respect du droit. Le législateur étant toujours plus lent que le réchauffement climatique, "il est nécessaire d’aller au-delà de ce que préconise la loi, c’est cela être vraiment responsable".
"Il est nécessaire d'aller au-delà de ce que préconise la loi, c'est cela être vraiment responsable"
Charité bien ordonnée…
Autre particularité de la fonction, elle est au service des clients, mais a également un rôle dans l’organisation interne de l’entreprise qui l’emploie. Comme l’explique Sabrine Aouida, le métier a "deux versants". D’après elle, "il faut s’assurer que notre activité ait de l’impact, mais il faut également appliquer les principes que l’on préconise à nous-mêmes, qu’il s’agisse de parité dans le Codir ou d’égalité femmes-hommes en matière de rémunération". Marie de Muizon adhère également à cette image de métier à double face. Ainsi, celle qui a passé près de vingt ans chez Danone a aidé Atlas Responsible Investors à obtenir la certification B-Corp et prendre le statut de société à mission.
Gouvernance
Pour que le CIO soit efficace, il doit donc avoir un impact sur le quotidien de son employeur. "Pour cela, il est nécessaire d’avoir un véritable pouvoir d’influence en interne, de siéger au Codir, de compter sur le soutien du département financier et du patron de l’entreprise. En bref, il faut peser dans la gouvernance et ne pas travailler en silo " souligne Marie de Muizon. Un avis que partage Sabrine Aouida qui se méfie, par exemple, de la configuration dans laquelle la personne en charge de l’impact rapporte à la communication. Dans ce cas, le risque de greenwashing n’est pas négligeable.
Un bon CIO doit "peser dans la gouvernance et ne pas travailler en silo"
Métier d’avenir
Pour le moment, le métier n’en est qu’à ses débuts et reste difficile à définir précisément : un zeste de chargé de veille stratégique, un soupçon d’accompagnement de dirigeants, une pincée "d’évangélisateur en interne". En somme, pour reprendre les termes de la CIO de Weefin, "il n’existe pas de fiche de poste précise, pas de formation universitaire. Certains ont une formation RSE, d’autres un cursus de financier." Il n’est pas impossible que certains soient issus de la fonction RH. "Ce qui explique pourquoi chaque CIO a sa propre façon de travailler, ses propres process, ses propres missions", conclut-elle.
Malgré ce flou, tout porte à indiquer que le poste de CIO n’est pas un gadget. Il devrait prendre de l’ampleur à moyen terme. La législation risque d’être de plus en plus contraignante pour les entreprises qui ne pourront plus investir dans des business non vertueux sur le plan financier et humain. Par ailleurs, de plus en plus de fonds et d’investisseurs souhaitent que leur argent soit dépensé de manière saine. Le CIO a donc un rôle d’accompagnement et d’aiguilleur.
Lucas Jakubowicz