La finance durable s’inscrit dans une tendance de fond. Toutefois, le contexte économique et les critiques envers certains acteurs engagés dans ce mouvement freinent certaines initiatives. De quoi s’inquiéter ? Éléments de réponses avec Philippe Zaouati, fondateur et directeur général de Mirova, société de gestion d’actifs spécialisée dans l’investissement durable.
Décideurs. Quelle est votre définition de la finance durable et comment se développe-t-elle ?
Philippe Zaouati. Il s’agit d’une finance qui considère qu’elle a une responsabilité à jouer dans l’intérêt général. Elle est altruiste, s’intéresse à ses impacts, prend la mesure de sa force et de son importance dans l’économie. Depuis 10-15 ans, elle se développe. Nous savons que nous devons aller vers un monde plus durable et, je l’espère, plus inclusif. Il y a toutefois des phénomènes conjoncturels qui viennent contrecarrer cette tendance. C’est le cas en ce moment avec les pressions sur les prix de l’énergie, les guerres, le contexte économique qui polarisent le débat public. Or, pour prospérer, la finance durable a besoin d’une vision partagée. Assez paradoxalement, la période Covid avait permis de trouver une forme de consensus et de construire un discours qui rassemble.
Certains fonds estiment que, pour soutenir la transition énergétique, il faut investir dans tous les secteurs quand d’autres considèrent que cela va à l’encontre de la lutte pour le climat. Comment vous positionnez-vous ?
Il faut être raisonnable. Est-il possible qu’en choisissant le meilleur fabricant de tabac on lutte contre le tabagisme? Sur le pétrole, il convient d’écouter la science. L’ensemble de la communauté scientifique nous dit qu’avec les gisements déjà en exploitation, nous avons assez de pétrole pour faire exploser les températures à +4-5 degrés. Or, aujourd’hui, les compagnies pétrolières continuent de chercher de nouveaux gisements. De quoi aller plus rapidement dans le mur… Je ne vois donc pas où est le débat. Il faut bien sûr arrêter de financer certaines activités néfastes.
"Pour prospérer, la finance durable a besoin d’une vision partagée"
On constate le développement d’une tendance, le green hushing, qui consiste notamment pour les fonds à passer sous silence leurs investissements verts. Pourquoi ?
C’est un mouvement assez général. Certains acteurs qui proposent des solutions d’investissement ESG préfèrent être silencieux par crainte des critiques. Honnêtement, si je raisonnais comme cela, j’aurais arrêté de m’exprimer depuis longtemps. Il me semble que ceux qui ont les convictions chevillées au corps ne se taisent pas. Cela dit, il y a des réalités dont il faut être conscient. Certains assureurs qui ont participé à la Net Zero Insurance Alliance (NZIA) ont rencontré une vive opposition sur le marché américain lorsqu’il a été considéré qu’elles tombaient sous le coup de la législation antitrust américaine. À partir du moment où il existe un risque d’être attaqués en justice, je peux comprendre que certains membres aient fait le choix de quitter ce mouvement.
La finance durable est-elle rentable ?
Cela dépend évidemment des contextes économiques, de choix de gestion et de cycles. La seule finance à l’abri des remous, c’est la finance passive. Entre 2019 et 2022, le marché a été très positif sur les technologies de l’environnement. Aujourd’hui, il est plus favorable au pétrole et à l’armement. Sur le moyen terme, les gérants d’actifs durables doivent convaincre leurs clients que les investissements dans la transition énergétique et l’environnement sont porteurs et présentent des opportunités. Nous n’avons jamais eu autant besoin de pionniers dans la finance durable et d’une régulation qui continue à aller de l’avant.
Propos recueillis par Olivia Vignaud