En 2022, Mickaël Berrebi publiait Investir pour nos valeurs ? Les cinq failles de la finance responsable : entre promesse et réalité (éditions Eyrolles). S’il s’agit encore d’une niche, entreprises, fonds et citoyens s’y mettent peu à peu. Mais ne nous emballons pas, beaucoup reste à faire pour modifier les comportements.
Décideurs. Comment définissez-vous la finance responsable ?
Mickaël Berrebi. C’est un concept très ancien qui a évolué avec le temps. À l’origine, on invoquait la finance éthique, on parle aujourd’hui de finance responsable. Ma définition, et celle qui fait consensus sur la place, en est la suivante : investir en respectant un socle de valeurs. En Europe et aux États-Unis, ce socle tient au triptyque ESG, pour les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Problème : dès lors que l’on parle de critères extra-financiers, on touche au domaine du subjectif. Ce qui peut me paraître responsable, ne l’est pas forcément pour mon voisin. Il existe autant de finances responsables que d’investisseurs.
Comment les épargnants s’inscrivent-il dans cette tendance ?
En ce qui concerne les épargnants, on note un engouement sur ces sujets, notamment depuis l’Accord de Paris. Les gens sont de plus en plus sensibles à ces problématiques. En revanche, une enquête que nous avons menée il y a deux ans avec le Diot-Siaci Institute dont je suis responsable, montre que les épargnants ne donnent pas du sens de la même façon à leurs investissements. Les plus de 50 ans vont investir dans des entreprises qui créent de l’emploi alors que les moins de 35 ans pensent aux questions environnementales, par exemple. Et, selon les continents, les attentes s’avèrent différentes. Les Chinois vont être plus réceptifs aux questions sociales et les Européens au volet climatique. Tout dépend du rapport au monde dans lequel chacun évolue.
Et pour les sociétés de gestion et les entreprises ?
On observe plusieurs familles de sociétés de gestion : les pionnières, les mastodontes qui ont développé rapidement une équipe dédiée et les autres qui ont fini par adapter leurs offres pour répondre à la demande. Pour les entreprises, le sujet c’est la RSE. Elles développent des politiques qui sont notées et scrutées par des agences de notation et des sociétés de gestion qui veulent faire de la finance responsable. Aujourd’hui les attentes des actionnaires sont très fortes et les normes extra-financières se durcissent. Les entreprises doivent présenter une politique de qualité pour rester attractives aux yeux du marché.
Vous avez écrit un livre sur les cinq failles de la finance responsable. Quelles sont-elles ?
La première, c’est la cacophonie autour de sa définition. Si la démarche est louable, il faut faire très attention à ce que l’on promet pour éviter un décalage avec la réalité du portefeuille ou de l’entreprise. Ensuite, il y a une faille qui concerne l’investisseur. Par définition, tout épargnant agit de façon irrationnelle car il a des émotions et des sensibilités. On prend tous de mauvaises décisions pour cette raison. Si l’on veut être efficient, il faut diversifier son portefeuille. Or, ce n’est pas le cas quand on investit de façon responsable. Le souci, c’est que les épargnants ne disposent pas des informations nécessaires pour savoir si leurs investissements ont un impact. La troisième faille concerne les sociétés de gestion. On voit bien tous les efforts humains, financiers et juridiques qu’elles déploient pour être le plus rigoureuses possible. Néanmoins, leur objectif reste la rentabilité. Par exemple, si elles n’ont pas investi ces dix dernières années dans les Gafa, elles sont passées à côté de ce qui a fait la performance des marchés. Combien de gérants sont prêts à rater une telle croissance ?
Et les deux dernières ?
Quatrième faille : l’entreprise. Les entreprises se font attaquer car on estime que leurs raisons d’être ou leurs déclarations sont en décalage avec la réalité de leur métier. Elles prêtent parfois le flanc à la critique en voulant communiquer. Enfin, la qualité de la donnée et la souveraineté constituent la dernière faille. Toutes les agences extra-financières européennes ont été rachetées ces cinq dernières années par les Américains. Je ne dis pas que c’est mal mais si demain les paramètres de notation sont uniquement calibrés en fonction des sensibilités des Anglo-Saxons, cela pourrait peser sur les sociétés européennes.
"Les épargnants ne disposent pas des informations nécessaires pour savoir si leurs investissements ont un impact"
La finance responsable existe-t-elle vraiment ?
Je crois que oui, mais elle constitue vraiment une niche. Les acteurs qui s’inscrivent réellement dans cette tendance ne sont pas nombreux. Ils utilisent des indicateurs très rigoureux d’impact et s’engagent sur le résultat.
Est-elle rentable ?
On dit que les fonds responsables de qualité font mieux que les autres. Toutefois, depuis dix ans et jusqu’à fin 2021, nous avons évolué avec un paradigme économique fantastique. Les taux bas rendaient l’argent quasiment gratuit et venaient renforcer l’intérêt des investisseurs pour les actifs risqués. Les fonds ont beaucoup investi dans la tech et la santé, qui étaient très bien notées d’un point de vue ESG et qui sont justement risquées. Coup de chance, elles ont bien performé. Mais, depuis 2022, on constate une remontée des taux et c’est le pétrole qui tire son épingle du jeu. La performance passée n’était donc pas forcément liée à l’empreinte carbone du portefeuille mais dépendait du contexte économique et de la bonne gestion des professionnels.
Certains fonds reviennent en arrière et n’osent plus communiquer sur leur stratégie ESG. Pourquoi ?
Les sociétés de gestion peuvent choisir entre plusieurs méthodes pour intégrer un processus extra-financier lorsqu’elles construisent leurs portefeuilles. Certaines éliminent les entreprises qui ont la note ESG la moins bonne dans un secteur donné. Ce qui leur laisse la possibilité d’investir dans des domaines comme les énergies fossiles tout en choisissant les cibles le mieux notées en comparaison avec le reste du secteur. Mais quand les ONG ou les journalistes épluchent les portefeuilles, ils se rendent compte que 90 % du marché investit dans des sociétés dont l’impact peut être négatif. Ce à quoi les gérants peuvent répliquer qu’il faut bien aider celles-ci à investir dans la transition énergétique. Afin d’éviter les attaques, certains gérants préfèrent désormais ne plus déclarer de portefeuilles à impact. On constate plus d’humilité sur la question.
Propos recueillis par Olivia Vignaud