La directive européennes CSRD va obliger les entreprises à traiter leurs informations RSE et de développement durable de la même façon que leurs comptes financiers. Un véritable changement de paradigme que décrypte Sylvain Lambert, associé responsable et cofondateur du département développement durable chez PwC.
Décideurs. Quels sont les principaux changements entre la NFRD, la directive qui imposait des reportings extra-financiers à certaines entreprises, et celle qui lui succède, la CSRD ?
Sylvain Lambert. Le message stratégique envoyé change : les régulateurs mettent au même niveau l’information financière et l’information RSE/développement durable. Pour les sociétés cotées, sous la responsabilité du comité d’audit ou d’un autre comité, ces informations devront être réunies et localisées dans le même rapport de gestion que les comptes. Elles devront aussi être disponibles en format numérique et auditées (pendant une période intermédiaire par un auditeur différent de celui des comptes puis par le même à partir de 2028). Ces informations seront produites et revues de la même façon que l’information financière. Ce qui fait dire à certains CFO qu’ils vont devenir des CPO pour chief performance officer. Plus qu’une information sympathique, l’information extra-financière devient stratégique et comparable.
Qu’en est-il des sanctions ?
Le texte n’en prévoit pas - sauf pour les émissions de CO2 - mais fait de l’information extra-financière une information réglementée, soumise au même type de sanctions. Si vous n’avez pas assez de femmes dans votre entreprise, vous devez le dire. Si des enfants travaillent pour vous, également. Comme pour les comptes, qu’importent qu’ils soient mauvais ou bons, il faut donner une image fidèle de la réalité. La CSRD est une réglementation de transparence, pas d’action. Pour les sociétés cotées, si ces informations manquent ou que l’auditeur émet des réserves, cela ne peut pas bien se passer sur les marchés. Pour les autres, les banquiers ou les investisseurs pourraient ne plus les financer s’ils notent un manque de performance extra-financière.
Quels sont les risques pour les entreprises ?
Le cœur du texte, c’est la double matérialité. Il est demandé aux entreprises d’analyser en quoi elles impactent l’extérieur et en quoi celui-ci les impacte sur le plan matériel. Traiter cette analyse comme un exercice de compliance qu’on peut faire a minima s’avère risqué. C’est plutôt l’occasion pour les entreprises de porter un regard neuf et pertinent sur leur business model. Il ne faut pas oublier que l’objectif, c’est la comparabilité, comme pour les comptes. En RSE aujourd’hui, chaque groupe a ses propres indicateurs. Là, les gens vont pouvoir comparer les informations et en tirer des conclusions. Il faut considérer cela comme un exercice stratégique, pas technique.
"La directive CSRD est l’occasion pour les entreprises de porter un regard neuf et pertinent sur leur business model"
Y a-t-il un risque de greenwashing ?
Le mot d’ordre des textes européens sur ces sujets-là est d’éviter le greenwashing. La double matérialité introduit une sophistication et une complexité qui agissent comme des garde-fous. Il est toujours possible de faire du greenwashing, comme il est possible de pipeauter ses comptes mais généralement cela finit très mal. Surtout que les régulateurs, les médias, les investisseurs et les collaborateurs portent un regard de plus en plus acéré sur ces sujets.
Est-ce que ce texte peut changer la donne sur le plan environnemental ?
Je ne peux pas prévoir l’avenir mais le niveau d’ambition des textes fait que l’on change de dimension par rapport aux précédents. La CSRD fait franchir un pas considérable qui contribue à mettre le sujet du développement durable au cœur des débats. Et les entreprises se mobilisent très sérieusement et au plus haut niveau pour y répondre. La France a une longueur d’avance sur les réglementations par rapport à d’autres pays européens pour qui ce n’est pas une marche mais un escalier à franchir.
Propos recueillis par Olivia Vignaud