Toutes les entreprises peuvent se mobiliser pour le bien commun en pratiquant la philanthropie. Voici quelques conseils d’experts pour franchir le pas.
Chaque entrepreneur souhaite marcher dans les traces des plus grands tels que Bill Gates, Warren Buffett, Michael Bloomberg ou encore Pierre Omidyar. Si ces patrons sont exemplaires en matière de gestion financière ou d’innovation, leurs actions philanthropiques constituent également des sources d’inspiration pour les dirigeants d’entreprises.
Y’a pas que la taille qui compte
Nombre d’entre eux souhaitent œuvrer pour l’intérêt général mais un cliché arrête bien souvent leur élan : ils estiment leur structure trop petite pour agir efficacement. "C’est une erreur, tout le monde peut pratiquer la philanthropie", tranche Guy Cohen, vice-président de l'Anacofi (Association Nationale des Conseils Financiers), président du jury du Grand Prix de la philanthropie qui aura lieu le 9 novembre à la Manufacture des Gobelins (événement dont Décideurs Magazine est partenaire, ndlr). D’après lui, "le cliché est lié au fait que les multinationales possèdent des fondations. Mais il n’y a pas besoin de créer une structure ad hoc pour agir, de nombreuses associations ont besoin du soutien de TPE et de PME".
Au-delà du don d’argent
Une autre idée reçue doit également être déconstruite. S’engager au service de l’intérêt général en soutenant des associations ne se traduit pas uniquement par des dons financiers. Le secteur privé possède de nombreuses ressources insoupçonnées. Parmi elles, leurs collaborateurs. "Pas encore assez connu, le mécénat de compétences permet aux entreprises de mettre des salariés à disposition d’une association", rappelle Caroline Torset, déléguée générale de l’Institut des dirigeants d’associations et fondations (IDAF).
Si l’aide financière reste vitale pour les associations, le don de "main-d’œuvre" l’est tout autant. "Une entreprise de la tech qui soutient financièrement une association luttant contre la fracture numérique, c’est pertinent. Mais qu’elle n’oublie pas qu’elle possède dans ses effectifs des formateurs potentiels bien souvent désireux d’agir concrètement", analyse Guy Cohen qui perçoit un autre atout dans le mécénat de compétences ou l’engagement bénévole en dehors des heures de travail : "Le secteur privé est innovant. Cette agilité peut facilement être mobilisée au service de la philanthropie." Un avis partagé par Caroline Torset pour qui "les entreprises possèdent des process, des outils, des modes de fonctionnement qui peuvent aider le secteur associatif". En somme, pour reprendre sa formule, "ne vous contentez pas de signer des chèques".
S'engager au service de l'intérêt général ne passe pas que par des dons financiers
Choisir la bonne cause
Le choix du combat à mener est également central. Pour maximiser l’efficacité de son action, il est recommandé de se consacrer à une seule cause au lieu de disperser ses moyens humains et matériels. Du reste, même les grandes multinationales, lorsqu’elles se mobilisent, se concentrent sur une thématique. Bien que cela ne soit pas une obligation, mieux vaut s’engager dans un combat pour lequel l’entreprise est légitime. Elle pourra ainsi apporter son expertise humaine à un domaine qui lui est familier.
Au moment de choisir la lutte à mener, la question des valeurs de ne doit pas être négligée. Lier la cause défendue au business et aux valeurs de l’entreprise est important car cela permet d’embarquer les clients et les salariés. Pour maximiser l’efficacité, il est bien évidemment nécessaire d’être sincère et exemplaire. Comment les collaborateurs d’une entreprise dont le management est perçu comme tyrannique pourraient-ils s’investir dans une action en faveur de la liberté d’expression ? Pourquoi les salariés d’un groupe dans lequel les pratiques sexistes ne sont pas sanctionnées s’engageraient-ils dans une politique philanthropique de lutte pour les droits des femmes ? Si cette distorsion peut faire sourire, elle ne relève pas de la science-fiction. Quelques rares mauvais élèves peuvent instrumentaliser la philanthropie pour gommer ou excuser leurs propres turpitudes.
"Oui, il faut communiquer. Ne vous cachez pas !"
Communiquer ou pas ?
Lorsqu’une société met une partie de ses ressources humaines ou financières au service d’une cause, elle peut être tentée de jouer la carte de la discrétion par peur d’être accusée de social washing. Pourtant, Guy Cohen est formel : "Il faut à tout prix communiquer ! Assumez, ne vous cachez pas !".
D’après son expérience, pour défendre efficacement une action philanthropique, il est nécessaire de la mettre en lumière. Par scrupule, certaines entreprises créent un site internet indépendant consacré à leurs actions philanthropiques. "Je pense au contraire qu’il faut les mettre en avant sur le site corporate. Cela rend service aux associations soutenues, met leur nom en lumière, incite le grand public à donner et à s’engager." Pas de timidité à avoir donc. Celle-ci, assez répandue en France contrairement aux pays anglo-saxons, est le fruit de notre héritage catholique selon lequel l’aide apportée doit se faire de manière discrète. Pour Guy Cohen, si cela est s’explique par des valeurs historiques, c’est aussi lié à un contresens : "Attention à ne pas confondre la charité qui a plutôt vocation à rester discrète et la philanthropie". Si philanthropie et charité sont deux choses distinctes, rien n’empêche de pratiquer les deux.
Lucas Jakubowicz