Le fonds de capital-risque Daphni, qui investit dans des start-up européennes, a publié un rapport sur le marché du crédit carbone volontaire. L’occasion de faire le bilan avec Paul Bazin, partner, sur ces outils qui combinent finance et lutte contre le réchauffement climatique.
Décideurs. Qu’est-ce que le marché du crédit carbone volontaire ?
Paul Bazin. Il existe deux marchés dans le crédit carbone : le marché carbone réglementé qui concerne les entreprises industrielles et celui des crédits carbone volontaires, qui se développe pour l’instant en dehors de la réglementation. Ces derniers peuvent être achetés par des entreprises ou des particuliers afin de limiter leur empreinte. Leurs émetteurs sont des porteurs de projets qui permettent de capturer le CO2, comme des exploitants forestiers ou encore des ONG qui réparent les récifs coralliens. Leurs solutions sont labélisées par des organismes en tant que crédits carbone. Enfin, des places de marché mettent en relation acheteurs et émetteurs.
Quelle est la problématique aujourd’hui ?
La plus importante est celle du changement climatique. Les crédits carbone sont l’une des réponses à cette urgence. Parmi les enjeux pour le développement de ce marché : se doter de standards internationaux pour la certification des crédits carbone volontaires. Des normes devraient voir le jour d’ici à cet été. Aujourd’hui, c’est le Far West, chacun peut créer son propre label. Ce qui explique des prix très variables. Il convient aussi de faire comprendre aux acheteurs qu’acquérir ces crédits ne sera pas suffisant pour atteindre la neutralité carbone. Il faut d’abord réduire ses émissions de CO2. Autre sujet : les organismes qui labélisent les projets sont aussi ceux qui vendent les crédits carbone. Il y a donc un vrai conflit d’intérêts. Enfin, dans la phase de récession actuelle, on a tendance à parler davantage d’économie que d’écologie. Il faut que le sujet reste sur le devant de la scène.
"Aujourd’hui, c’est le Far West, chacun peut créer son propre label"
Combien ce marché peut-il peser ?
C’est assez compliqué à chiffrer. Est-ce qu’on prend les crédits carbone d’évitement (liés à des projets d’utilisation plus efficace des énergies) – ce à quoi on ne croit pas – ou les crédits carbone de capture ? En ce qui concerne leurs échanges, 20 millions de tonnes de CO2 ont été monnayées au prix de 15 euros la tonne en moyenne en 2022. Si on veut atteindre la neutralité carbone en 2050, on estime que ce marché devra au moins être multiplié par dix. La demande va croître alors même que les projets opérationnels restent limités dans l’espace, sauf à développer des technologies.
D’où un créneau pour les startup que vous mettez en avant chez Daphni. Quelles formes peuvent prendre ces solutions ?
On peut imaginer être capable de capturer du carbone avec de nouvelles technologies. Le quantique en est un très bon exemple. Les ordinateurs actuels ne sont pas en mesure de modéliser le CO2 dans l’air, les molécules et les interactions. On pourrait imaginer que les algorithmes quantiques arrivent à modéliser les différentes façons de capturer le carbone dans l’atmosphère. On pourrait alors produire le hardware afin d’effectuer cette capture. C’est assez prospectif mais il convient d’investir dans cette technologie dès maintenant. Se pose également la question du financement de nouveaux projets qui reste assez complexe car les acheteurs veulent des crédits déjà capturés alors que des solutions naissantes ne vont être efficaces que dans trois ans par exemple. Ce sont des modèles de financement différents. Le marché est gigantesque et en plein essor. Chez Daphni, nous avons vocation à accompagner ces solutions.
Propos recueillis par Olivia Vignaud