[Impacts en série] Régulièrement, 100 Transitions met en avant l’un des membres du Collège des directeurs du développement durable (C3D). Épisode 9 : Melissa Saint-Fort, directrice RSE du Groupe TF1.

Qu’est-ce qui, dans votre parcours, vous a amenée vers la RSE ?

J’ai fait une classe préparatoire aux grandes écoles puis l’ESCP, une école de commerce dont je suis sortie il y a maintenant 20 ans. Depuis un an et demi, je suis directrice RSE du groupe TF1 – une direction RSE qui existe depuis quinze ans. Avant d’arriver à mon poste actuel j’ai occupé des postes dans le marketing, la communication ou le business development. Toutefois, la particularité de mon profil est d’avoir principalement œuvré dans le monde du spectacle vivant et de la musique. J’ai travaillé pour une société de production de comédies musicales, pour le MIDEM, chez Universal Music ou plus récemment à la Seine Musicale. Depuis son inauguration en 2017 j’en étais la directrice marketing et communication, mais à la fin je m’occupais également de la RSE.

Je dirais que deux facteurs parallèles m’ont amenée à la RSE. Le premier est le COVID, qui a beaucoup joué et qui a été un énorme sujet de remise en question, en particulier dans le secteur du spectacle vivant, qui a subi énormément de fermetures. Et puis j’approchais de la quarantaine et je me suis posé pas mal de questions sur mon métier. J’avais le sentiment de faire un peu la même chose depuis 20 ans, dans un univers de la musique et du spectacle qui ne se pose pas toujours de questions sur la transition écologique ou les sujets de diversité et d’inclusion. Ce sont des thèmes sur lesquels il y a pas mal de retard, concernant l’accessibilité des spectacles aux personnes en situation de handicap notamment. D’un point de vue plus personnel, ce sont des sujets qui m’ont toujours intéressée car je suis née au Liban, j’ai fui la guerre par bateau et je suis réfugiée. Ma mère était elle-même réfugiée palestinienne et mon mari réfugié haïtien. Ce sont des histoires mélangées qui font que la diversité et l’inclusion ont toujours été importantes pour moi.

Bien qu’ils m’intéressassent déjà à l’époque, ces sujets appartenaient pour moi au domaine des RH et je n’imaginais pas forcément travailler dessus un jour. C’est probablement l’écologie qui a été le vrai déclic, quand j’ai réalisé une fresque du climat il y a quatre ans. Embarquée dans la démarche RSE de TF1, j’ai fini par prendre la casquette RSE de la Seine Musicale, qui est d’ailleurs un bâtiment éco-conçu, particulièrement à la pointe d’un point de vue écologique. J’ai donc commencé à chercher une façon d’en réduire un peu plus l’impact carbone. Je me suis alors rendu compte que le secteur n’était pas du tout au niveau. Il reste mine de rien très artisanal, constitué de beaucoup de PME, ayant beaucoup recours à l’intermittence, avec des salles publiques et d’autres privées…

Une mobilité plus tard et je devenais directrice RSE chez TF1. Le monde de l’audiovisuel est certes plus avancé que le spectacle vivant mais il reste quand même beaucoup de choses à faire. Le fait d’avoir des autorités de régulation comme l’ARCOM ou le CNC aide à mettre en marche certains changements.

Quels sont d’ailleurs les grands enjeux de RSE pour un géant de l’audiovisuel comme TF1 ?

Le carbone est la première chose qui vient à l’esprit, mais paradoxalement le sujet n’est pas évident dans le secteur car tout le monde n’est pas soumis aux mêmes exigences. Les grands groupes de médias ont bien évidemment des obligations mais ce n’est pas le cas de tout l’écosystème. Les grands groupes et les petites sociétés de production ne disposent pas du tout des mêmes moyens. Pour parler spécifiquement de l’empreinte carbone, il ne s’agit pas uniquement de la mesurer, mais de changer les pratiques, les modes de production… C’est valable aussi pour certains univers « annexes » comme la publicité.

En plus de cela, les médias ont une forme de responsabilité du fait de l’influence qu’ils exercent. Nous sommes un média leader en France depuis des années, regardé tous les jours par des millions de personnes. Il s’agit non seulement de parler de plus en plus de ces sujets mais aussi d’en parler mieux. L’enjeu est là : sensibiliser les gens, les informer et les éduquer aux problématiques de transition écologique. Mais aussi de réussir à le faire sans pour autant tomber dans des discours complètement anxiogènes.

Le traitement de sujets comme les canicules ou les inondations ne peut se résumer à dire « il fait froid, il fait chaud, on va aller à la plage en décembre ! ». Il faut mettre en évidence le problème sans générer constamment de l’anxiété. Si nous en faisons trop, les spectateurs, rendus trop déprimés, vont tout simplement arrêter de regarder nos programmes. Il ne faut pas qu’ils se sentent démunis, donc il faut proposer en parallèle des solutions concrètes pour que le moindre téléspectateur puisse agir. Le tout en gardant à l’esprit que certains sujets n’ont pas forcément de solution pratique. Sur la question des mobilités douces par exemple, beaucoup de personnes vivent dans des zones sans moyens de transports collectifs et habitent à 40 kilomètres de leur lieu de travail…

Nous cherchons donc à informer sur le changement climatique dans nos JT ou documentaires, mais pas seulement. Nous abordons en effet le sujet dans les autres types d’émissions pour lesquels nous sommes très connus : la fiction et le divertissement. Pour ces formats la question est plus difficile : comment représenter un avenir dont nous savons qu’il sera plus sombre ? Dans certains de nos scénarios de fictions, ce sont les enfants qui disent aux parents « on va aller en vacances en train plutôt qu’en avion » ou « on va faire du compost et mieux gérer nos déchets ». Ce sont des actions de bon sens, mais réussir à les raconter dans une série du quotidien n’est pas évident. Nous le faisons très bien aussi dans nos programmes pour enfants,.

Comment insérez-vous ces sujets dans vos fictions ? Avez-vous recours à un cahier des charges pour les scénaristes par exemple ?

Non, nous n’imposons pas de cahier des charges sur ce sujet, ni sur aucun autre d’ailleurs. Mais nous allons choisir nos fictions en fonction de critères dans les scénarios que l’on nous propose. Nos conseillers artistiques seront sensibilisés aux sujets RSE sans pour autant que nous soyons à la manœuvre de l’écriture du récit. Il faut que les différents acteurs y soient tous sensibilisés, autrement personne n’y pensera.

En revanche, figurent dans nos contrats quelques clauses portant sur des questions non créatives, comme la coproduction du contenu, la diversité dans le casting ou la représentation des femmes. Cela fait partie des clauses contractuelles et nous demandons à nos partenaires d’y être sensibles. Nous mettons en avant les comportements respectueux, et inversement ne promouvons pas ceux qui sont irresponsables.

Sur des domaines comme l’information, nous avons en revanche une feuille de route plus précise. Depuis deux ans, la direction générale de l’information a décidé que tous les journalistes seraient formés. Nous avons quasiment trois sujets par jours dans nos JT qui traitent de la transition environnementale, soit trois fois plus qu’il y a deux ans. Notre ambition est claire et nous demandons aux journalistes de traiter ces sujets.

En tant qu’acheteur de contenus, attendez-vous des efforts de la part du reste de l’écosystème sur la question de l’écoproduction ?

Oui, c’est quelque chose que nous poussons beaucoup par le biais de l’association EcoProd, que nous avons fondé avec d’autres médias il y a une quinzaine d’années. C’est un sujet sur lequel nous ne sommes pas du tout en concurrence et sur lequel nous avons collaboré pour créer un label AFNOR EcoProd. Nous organisons des tables rondes et des réunions régulières avec les producteurs partenaires, les syndicats…

Et en interne, quelles initiatives avez-vous mises en place ?

Il y a aussi des questions de sobriété, qui passent par des achats plus responsables mais aussi des choix techniques. Nous sommes devenus depuis un an une grande plateforme de streaming. Et cette plateforme a été conçue en prenant en compte les enjeux de numérique responsable, les datacenters sont modernisés, les encodages des vidéos réduits pour économiser de la bande passante… Nous poussons également les téléspectateurs à privilégier la basse définition ou à choisir le Wifi plutôt que la 4G ou la 5G. Quant à la sobriété énérgétique de nos locaux, nous avons entamé ce chantier il y a plus de 15 ans et nous n’avons plus énormément de marges de manœuvre dessus. Cela ne représente que 2 % de notre bilan carbone, contre 8% pour les sujets de mobilité et 90 % pour la production, les achats de contenus, de biens et de services, et le numérique.

Reste un facteur important sur lequel nous intervenons : la publicité. C’est elle qui nous permet de financer la qualité de l’information, du divertissement et de la fiction. Mais nous devions aussi la transformer, ce qui a été un véritable défi. L’idée était de convaincre nos annonceurs que leur transformation durable passait aussi par leur publicité et qu’ils devaient diffuser des messages plus responsables. Nous avons ainsi travaillé de très près avec l’ADEME pour créer des offres publicitaires adaptées et diffuser aujourd’hui sur nos écrans publicitaires des produits et des messages plus vertueux. Nous avons aussi cofinancé de nombreuses campagnes de sensibilisation. Nos équipes ont d’ailleurs été particulièrement en avance sur la question, parce qu’elles étaient parfaitement conscientes que nous les solliciterions sur le sujet. Ils s’en sont emparés et ont monté une communauté d’une dizaine d’ambassadeurs pour cocréer cette nouvelle façon de faire de la publicité. Depuis, cette méthode a fait des petits et nous comptons aujourd’hui 300 ambassadeurs dans le groupe. Toutes les équipes disposent désormais au moins d’une personne en charge des sujets RSE.

Nous avons beaucoup évoqué la partie environnementale de la RSE. Quelles autres mesures mettez-vous en œuvre, notamment en ce qui concerne la diversité ?

Nous avons beaucoup évoqué l’environnement, mais la diversité et l’inclusion sont elles aussi particulièrement importantes. Cela se traduit dans les castings de toutes nos émissions, qui sont ultradiversifiés en ce qui concerne les origines, l’orientation sexuelle, les handicaps… Dans le même ton, certaines de nos fictions vont traiter de ces sujets, comme le handicap avec Les Bracelets rouges ou le cancer avec Les Randonneuses. C’est important pour nous que tous les Français soient représentés et inspirés.

Nous avons commencé très tôt à travailler sur le sujet de l’égalité homme-femme, avec des programmes de formation, du coaching… Grâce à ces mesures, notre comex est aujourd’hui paritaire, de même que la direction générale et les autres instances. D’une manière générale, 50 % des postes managériaux sont occupés par des femmes. Et c’est quelque chose que nous voulons retranscrire à l’antenne, notamment dans le profil des experts qui interviennent sur nos plateaux d’information. Traditionnellement les hommes sont largement surreprésentés. Nous avons donc décidé d’identifier des femmes spécialistes de leurs domaines, puis nous leur avons offert un media training de plusieurs jours pour les encourager à intervenir dans les médias, et pas seulement les nôtres ! Nous en sommes à la quatrième promotion d’Expertes à la Une, et aujourd’hui 54 % des experts que nous recevons sur nos plateaux sont des expertes. Nous menons également des programmes similaires portant sur d’autres sujets : handicap, personnes LGBT…

Nous sommes aussi partenaire historique de nombreuses associations et événements : Restos du cœur, Pièces Jaunes, multiples journées contre des pathologies. En tant que média d’information, nous effectuons un travail tout particulier contre les fake news et la désinformation, un enjeu qui a des répercussions très profondes sur notre société et qui est assez particulier à notre profession.

Qu’attendez-vous de votre présence au sein du Collège des directeurs du développement durable ?

J’ai rejoint le C3D lors de ma prise de poste mais ma prédécesseuse en était déjà membre. Par ailleurs, Fabrice Bonnifet, le président du Collège, est directeur du développement durable du groupe Bouygues, qui possède TF1. Nous sommes ainsi amenés à travailler ensemble de très près sur des événements, des conférences ou encore des propositions de contenu faites à nos équipes de production. 

Le C3D est un véritable lieu d’échange avec des pairs, et nous avons besoin de ces rencontres ! Elles nous permettent de voir comment d’autres univers gèrent leurs propres transformations. C’est enrichissant et cela nous fait sentir un peu moins seuls.

Propos recueillis par François Arias

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