Longtemps cantonné à des applications sectorielles, le droit de l’environnement irrigue aujourd’hui l’ensemble du droit privé et public pour répondre aux enjeux environnementaux multiples qui s’imposent. Résultat : un foisonnement et une créativité juridique sans précédent, parfois difficile à appréhender pour les entreprises et leurs directions juridique. Décryptage avec Carine Le Roy-Gleizes et Corentin Chevallier, avocats associés chez Foley Hoag.
Comment analysez-vous l’évolution du droit de l’environnement ces dernières années ?
Carine Le Roy-Gleizes. La prise en compte des enjeux environnementaux est de plus en plus prégnante dans toutes les strates de la société et dans tous les secteurs d’activité. Elle s’illustre chaque jour un peu plus dans les politiques publiques ainsi que dans la création normative et jurisprudentielle. Un changement d’échelle,
pour ne pas dire de paradigme, qui pousse aujourd’hui à envisager le droit de l’environnement, non plus dans une simple approche sectorielle, mais systémique. Cette approche transversale du droit de l’environnement se retrouve dans les principaux textes récemment adoptés au niveau européen – pacte vert, Fit for 55, Stratégie européenne dans le domaine des produits chimiques – et dont l’objectif est d’intervenir simultanément au niveau de plusieurs politiques de l’Union. Mais aussi au niveau national : l’ambition de la loi climat et résilience d’août 2021 est de faire entrer l’écologie dans la vie des Français ou encore d’ancrer l’écologie dans notre société. Le droit de l’environnement devient aussi plus explicitement intégré dans le Code civil (on notera, en 2016, la création d’un régime de réparation du préjudice écologique). Enfin, le droit de la consommation est un nouveau levier, avec l’encadrement de l’information environnementale des consommateurs.
Corentin Chevallier. Au regard de l’évolution que vient de décrire Carine, les directions juridiques des entreprises se trouvent parfois démunies face à une réglementation toujours plus dense, complexe, et à la superposition des normes, combinées à des enjeux de responsabilité et de réputation chaque jour plus sensibles. Si les grandes entreprises sont généralement bien dotées avec des juristes spécialisés, tel n’est pas le cas d’un grand nombre d’entreprises à ce jour. Dans certains cas, ces sujets ne sont d’ailleurs pas traités par des juristes mais par des ingénieurs au sein des entreprises. Sans vouloir minorer les aptitudes d’autres acteurs que les juristes pour appréhender ces sujets, il est indispensable que les directions juridiques s’en emparent afin, bien sûr, de mesurer et d’anticiper les risques mais aussi de devenir des centres de proposition et d’accompagnement de transformation des entreprises face à ces nouveaux enjeux.
« Face à l’affluence de nouveaux textes et à la créativité juridique des requérants, la place du juge qu’il soit judiciaire, administratif ou constitutionnel devient fondamentale »
Ce foisonnement de la législation et de la réglementation environnementale arrive-t-il à une forme de maturité où sommes-nous toujours en train de chercher le bon équilibre ?
C. L. R-G. Nous sommes au cœur d’une évolution qui se cherche encore. D’un côté, les pouvoirs normatifs français semblent rechercher un équilibre entre incitation des acteurs à engager leur transition et accompagnement à la production dans un contexte économique et géopolitique assez complexe. De l’autre, on sent bien qu’avec certaines décisions emblématiques récemment rendues en matière de climat ou de qualité de l’air, le droit de l’environnement est en train d’évoluer rapidement sous nos yeux, avec une inventivité juridique importante et des juges beaucoup plus sensibles aux enjeux environnementaux que par le passé. Face à l’affluence de nouveaux textes et à la créativité juridique des requérants, la place du juge qu’il soit judiciaire, administratif ou constitutionnel devient, en effet fondamentale. Il va maintenant falloir suivre avec attention les prochaines décisions juridictionnelles car le juge est aujourd’hui l’aiguillon de la mise en œuvre de ce nouveau droit de l’environnement. C’est d’ailleurs une tendance clairement revendiquée lorsque le vice-président du Conseil d’État, Didier-Roland Tabuteau, déclare que le juge administratif est, dans ce domaine, « le juge de la crédibilité de l’action publique et non plus seulement de sa réalité ».
C. C. L’ambition politique et normative est grande, la créativité juridique aussi. Nous changeons d’approche. Pendant longtemps le droit de l’environnement a été un droit assurant un équilibre entre protection de l’environnement et activités humaines et de production. Aujourd’hui cette approche est révolue, c’est la protection de l’environnement face aux défis du changement climatique et de l’anthropocène qui tend à primer. Il faut voir jusqu’où peut aller ce changement en pratique, mais il est certain que les nouveaux outils et principes juridiques émis récemment (préjudice écologique, écocide, principe de non-régression, raison d’être des entreprises, devoir de vigilance avec son volet environnemental, prohibition du greenwashing…) traduisent cette tendance. Est-ce que l’on va rester dans la logique d’équilibre qui a prévalu jusqu’alors ou va-t-on basculer vers une prise en compte plus systématique des enjeux environnementaux ? La question se pose notamment en matière pénale. On voit aujourd’hui se développer les poursuites, on constate également une aggravation des peines prononcées. Jusqu’où peut aller cette tendance ? C’est une question ouverte.
« L’ambition politique et normative est grande, la créativité juridique aussi. On change d’approche »
Le droit de l’environnement a une forte dimension internationale. Quel bilan faites-vous de la COP27 ?
C. C. Il est clair que depuis la COP21 et la ratification massive de l’Accord de Paris par les États qui a constitué l’acmé de l’action internationale dans la lutte contre le changement climatique, les COP qui ont suivi ont été plus décevantes, que ce soit du fait de certains États majeurs comme les États-Unis (après leur retrait de l’Accord et avant leur récent retour) ou le Brésil, puis de la pandémie et enfin de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. On peut se demander si dans ce lourd contexte, il n’y a pas un reclassement complet des priorités de la part des États émergents. Le fait que la COP27 ait pour pays hôte l’Égypte a été de ce point de vue une bonne chose et un bon test qui a permis de réaffirmer la détermination de ces États à lutter contre le changement climatique. Mais avec, de leur part, l’exigence de garanties données par les pays les plus avancés concernant le sujet des « pertes et dommages », et du financement de la transition climatique tout en manifestant leur refus de renoncer aux énergies carbonées pour assurer leur développement. Ceci a le mérite d’être clair et de replacer le débat dans son contexte global, qu’une approche quotidienne purement autocentrée tendrait à faire oublier. Le résultat de cette COP peut paraître un peu décevant vu d’une telle fenêtre, mais l’enceinte internationale des COP reste l’échelon indépassable d’une lutte efficace contre le changement climatique.