Le directeur général de Saint-Gobain revient sur les efforts mis en place par son groupe pour faire face à la crise climatique. Il défend également la mise en place de mesures plus globales telles qu'une taxe carbone ambitieuse.

En novembre, dans le cadre de l'Université de la terre de l'Unesco, vous participiez à une conférence intitulée "innover ou décroître, faut-il choisir ?" Quelle est votre position sur le sujet ? 

Je pense que les deux sont nécessaires pour atteindre la neutralité carbone. Il convient naturellement de repenser nos productions pour faire mieux, différemment avec moins. L’innovation doit servir à développer de nouveaux matériaux, solutions, process. Il faut aussi décroître certains usages, qu’il s’agisse de ceux qui touchent à nos métiers comme la consommation de matières premières ou dans d’autres registres comme notre consommation alimentaire ou les voyages. 

Auriez-vous tenu le même discours il y a dix ans ? 

Est-ce que les choses ont évolué dans le temps ? Oui. Chez Saint-Gobain, nous avons toujours été à la pointe sur les questions d’innovation. Mais les sujets de préservation des ressources naturelles, de recyclage, d’économie circulaire sont beaucoup plus prégnants et stratégiques qu’il y a une dizaine d’années. On a des taux très élevés de recyclage de matériaux. Dans la laine de verre, c’est 55 %. Dans les quatre grands chantiers stratégiques du groupe en termes de développement, trois sur quatre portent sur les sujets de décarbonation : efficacité de nos process et de nos solutions pour une transition zéro carbone pour Saint-Gobain et ses clients, reformulation de nos produits pour incorporer l’économie circulaire et favoriser l’économie des ressources naturelles, systèmes innovants dans la construction durable pour des usages plus frugaux. 

À défaut d’une décroissance, que pensez-vous de la notion de simplification ? Peut-on vivre avec des objets, des matériaux plus simples ? Le tout sans perdre en savoir et savoir-faire ni décroître ? 

Je ne sais pas si c’est de la simplification ou de la sobriété. Je pense que la valeur de l’usage doit changer. J’espère que, d’une certaine façon, le Covid a précipité cela. On était dans une course effrénée à la consommation, et la globalisation du monde ainsi que la fabrication à bas coûts en Chine ont accentué le mouvement. Dans l’industrie du jouet, par exemple, pour avoir été parent, j’ai été choqué par ces objets en plastique que vous jetez tous les dix-huit mois ou presque parce qu’ils se cassent. Les jouets d’autrefois étaient en bois ou en métal. On se les transmettaient d’une génération à l’autre. Revenons aux jeux en bois, que je trouve plus simples, plus beaux et plus robustes ! De la même façon, dans la construction, on peut faire sobre et efficace. C’est ce à quoi s’attelle Saint-Gobain avec la stratégie de l’habitat durable. La globalisation nous a poussés à optimiser les coûts. Dans le monde après Covid, l’important est d’être sûr d’être approvisionné et que les choses soient durables.

"Ce qui pourrait être très puissant ? Une taxe carbone" 

Pensez-vous que les industriels doivent faire l’objet de mesures restrictives de la part des gouvernements ?  

Je ne vois pas pourquoi on devrait légiférer sur des restrictions imposées aux industriels dans la mesure où les entreprises, si elles sont vertueuses comme Saint-Gobain, sont parties prenantes de la solution. Elles ont la capacité d’engager des moyens financiers et des moyens de recherche mais aussi d’agir vite. Quand Saint-Gobain baisse de 50 % la teneur en CO2 par euro de ses résultats depuis 2017, cela veut dire qu’on peut faire de la croissance rentable avec moins de CO2.

Quelle serait l’alternative ?

Les industriels, tels que Saint-Gobain, plaident pour un cadre réglementaire stable et exigeant. Que ce soit sur les standards de matériaux, de produits, de décarbonation... Il faut un cadre suffisamment exigeant pour donner un horizon, un cap, mais suffisamment stable pour que les industriels puissent engager leurs moyens financiers et humains. Ce qui pourrait être également très puissant ? Une taxe carbone. Il n’y aurait pas de signal plus puissant que de dire que tous les produits en dehors de l’Europe, y compris les produits chimiques, sont sujets à une taxe carbone de 200 ou 300 euros, plutôt que de laisser le marché décider des prix sur tel ou tel segment. Il faut peut-être accepter qu’il y ait des produits un petit peu plus chers en Europe. C’est ce que sont en train de faire les Américains sur l’Inflation Reduction Act pour privilégier la fabrication de panneaux solaires aux États-Unis et décarboner leurs process industriels.

"La seule chose qui est de court terme aujourd’hui, c’est l’urgence climatique"

Comment résoudre l’équation qui consiste à répondre à l’urgence climatique sur le court terme tout en gardant en tête les impératifs industriels de long terme ? 

On le fait dans nos choix d’investissements et nos programmes de recherche. Quand on investit dans un nouveau processus énergétique moins consommateur, c’est pour 10, 20 ans. Ce sont par nature des processus de long terme. Aujourd’hui, nos programmes d’innovation portent sur l’électrification de nos fours verriers, qui sont au gaz. Personne ne sait faire du verre plat à l’électrique dans le monde. Les critères d’attribution d’actions de performance pour 2 700 managers du groupe ont 20 % de leur rémunération à long terme basée sur les engagements de long terme.

Qu'en est-il des attentes des actionnaires ? 

C’est un point très important. Près de 70 000 de nos salariés sont actionnaires du groupe. Ils ont 15 % des droits de vote. Eux, sont dans une logique de long terme. Quand ils achètent une action, ils n’ont pas le droit de la vendre avant cinq ans. Beaucoup les gardent même quand ils sont retraités. Cet actionnariat stable – il n’y en a pas assez – est très important pour accompagner la stratégie du groupe. Depuis 30 ou 40 ans, nous avons vécu une financiarisation de l’économie de plus en plus à court terme. La seule chose qui est de court terme aujourd’hui, c’est l’urgence climatique. Il nous faut essayer d’inverser le rapport au temps du capitalisme. La neutralité carbone est pour 2050. Ce qui nécessite une vision industrielle de long terme qui réponde à cette urgence. On ne pourra pas attendre 30 ans, ni se retrouver sous la contrainte des yoyos financiers et de la volatilité des marchés sur laquelle vivent certains investisseurs.

Propos recueillis par Olivia Vignaud 

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter 100 Transitions,
merci de renseigner votre mail

{emailcloak=off}