Rien ne prédestinait Arthur Auboeuf à devenir une figure emblématique de la lutte contre le réchauffement climatique. Si ce n’est un amour inconditionnel pour ses montagnes jurassiennes natales et son appétence pour faire vivre des communautés. Cofondateur de Time for The Planet, il mobilise avec ses associés la société civile vers un objectif un peu fou : lever d’ici à 2030 un milliard d’euros pour financer des entreprises de la transition. Portrait.

 

"Ça ne te dérange pas si je mange un morceau pendant qu’on fait l’interview ?" Arthur Auboeuf est d’un abord simple, décomplexé et sans artifices, immédiatement humain. Comme si au fond, subsistait encore en lui cet adolescent d’un petit village de 200 habitants, passionné de ski de fond, qui voulait devenir paysagiste et s’était engagé dans une fac de sport. Un cursus qui le laisse libre plus de six mois de l’année. Nous sommes en 2011 et Facebook est en plein boom. Arthur commence à créer des communautés autour d’intérêts divers. Rapidement, il se retrouve avec une audience de plusieurs millions d’abonnés. En découle naturellement la création de BrainBox qui édite et anime des sites internet et applications mobiles rassemblant une communauté globale de plus de 12 millions d’abonnés. "J’ai été pendant plusieurs jours numéro un sur l’Apple Store, devant Snapchat", s’amuse-t-il, encore, un brin effaré par des tels scores. Il finit par revendre l’entreprise et termine son master de sport. Tout aurait pu s’arrêter là.

Du burnout à l’impact

Mais Arthur a toujours la fièvre d’entreprendre. Il lance une application de rencontre dans le cadre de micro-événements de loisirs. "Ce n’est pas celle qui a le plus marché mais j’ai beaucoup appris sur la manière de lancer un business, de trouver un modèle économique." Il finit par rejoindre Triller, une application qui ambitionnait de devenir une sorte de TikTok européen. Arrivé au tout début de l’aventure, il voit l’entreprise lever 300 millions d’euros et passer de 3 à 400 employés en deux ans. "Une super expérience, mais qui a fini par me confronter à la réalité de mon utilité sociale: faire danser des jeunes prépubères sur leurs smartphones." S’ensuit une forme de burnout, concomitant avec une prise de conscience climatique, qui accouche d’une conviction : "L’entreprise ne peut plus juste être une machine à cash pour ses actionnaires. Elle doit se mettre au service du bien commun et participer à l’immense défi que représente la transition écologique." C’est alors qu’Arthur rencontre Medhi Coly et Nicolas Sabatier, et que le projet de Time for the Planet prend forme.

"En trois ans, nous avons mobilisé 70 000 actionnaires qui nous ont permis de lever 13 millions d’euros, soit le plus grand crowdfunding d’Europe"

De l’investissement au dividende carbone

L’idée ? "Donner un débouché à l’énergie, à la volonté d’agir et de s’engager des citoyens dans un grand mouvement de mobilisation collective au service du développement de solutions concrètes au réchauffement climatique". Comment ? "En inventant un nouveau modèle d’entreprise et de création de valeur. Nos actionnaires sont rémunérés en dividendes climat sur la base de 1 dividende climat = 1 tonne de CO2 capturée ou évitée. Un système conçu notamment avec Carbone 4 et l’Ademe. Tous les bénéfices réalisés par les entreprises que nous accompagnons grâce aux contributions de nos actionnaires sont réinvestis dans des projets de transition." Résultat ? "En trois ans, nous avons mobilisé 70 000 actionnaires qui nous ont permis de lever 13 millions d’euros, soit le plus grand crowdfunding d’Europe. Cinq entreprises ont déjà été financées et nous avons reçu plus de mille dossiers d’innovation." Mais pour Arthur Auboeuf, tout ça n’était qu’un "échauffement". L’entreprise s’apprête à s’élargir aux acteurs institutionnels pour démultiplier ses levées de fonds, va lancer un grand compteur d’émissions de gaz à effet de serre pour évaluer son impact, s’apprête à distribuer ses premiers dividendes climats et prépare sa projection à l’international.

De l’éco-anxiété à l’action

À l’heure où la sobriété fait figure de nouvel impératif collectif, n’y a-t-il pas un risque pour Time for the Planet à passer pour techno-solutionniste ? Arthur Auboeuf s’en défend, arguments à l’appui : "Parmi les entreprises que nous avons accompagnées, il y a par exemple Cool Roof qui propose de repeindre en blanc les toits pour faire baisser la température des bâtiments. On fait difficilement plus lowtech que ça !" Bien conscient que l’innovation ne pourra pas se substituer à un changement systémique de nos modes de vie, Arthur veut pousser des projets qui font mieux avec moins et participent à l’invention de nouveaux modèles d’affaires. "Pour résumer, on est plus Thimothée Parrique qu’Elon Musk. Mais on n’arrivera à rien en étant moralisateur ou en faisant culpabiliser les gens. Il nous faut participer à l’émergence de nouveaux récits, à une redéfinition du bonheur, de la richesse, de ce qui est cool ou non… au risque que les discours effondristes ne deviennent auto-prophétiques". Là encore, à rebours d’une éco-anxiété paralysante pour laquelle il ne s’estime "pas codé génétiquement", Arthur Auboeuf préfère l’action : il organisera en 2023 un événement pour former les influenceurs au climat. Une manière de boucler la boucle. Dans son intervention sur une conférence TEDx Skema, Arthur Auboeuf demandait à son audience de noter leur vie sur une échelle de 1 à 10. Et lui? "9,25. J’enlève 0,75 parce que je passe trop de temps sur mon ordinateur et pas assez dans la nature." Pour les moins bons élèves, il proposait en guise de remède imparable une bonne dose d’espoir et d’action, persuadé que, au fond, "une poignée de personnes déterminées, ça suffit largement pour changer le monde."

Antoine Morlighem

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