La prise en compte d’enjeux extra-financiers au sein de l’entreprise a été longtemps l’apanage des directions RSE, chargées de porter seules la "responsabilité sociale de l’entreprise", autrement dit l’intégration de préoccupations sociales et environnementales aux activités commerciales des sociétés. Loin d’avoir disparu notamment dans les grands groupes, elles partagent de plus en plus la casquette de prescriptrices des projets ESG avec les directions financières. Progressivement, celles-ci se sont musclées avec des postes dédiés aux sujets extra-financiers. Témoin du nouveau visage de ces départements, des "chief impact officers", des "sustainable managers" ou autres "extra financial reporting managers" ont été recrutés aux côtés des CFO. "Depuis dix-huit mois nous avons vu les choses s’accélérer dans les directions financières, notamment dans les secteurs industriels. Nous recevons de plus en plus de mandats pour de nouveaux postes N-1 des CFO, et en parallèle beaucoup sont également pourvus par de la mobilité interne", témoigne Stéphane Durand, partner de Lincoln, cabinet de conseil en recrutement international expert notamment des directions financières.
"il revient souvent au DAF de coordonner les projets car il est au carrefour de toutes les directions, et proche de la direction générale" Susanne Liepmann, FiPlus
Transversalité
Mais comment expliquer que l’extra-financier soit arrivé sur le bureau des financiers ? Pour Susanne Liepmann, ancienne directrice financière internationale, aujourd’hui présidente de l’association FiPlus, qui fédère les clubs de financiers d’entreprises, "toutes les parties prenantes de l’entreprise doivent s’occuper des sujets ESG. Or, il revient souvent au DAF de coordonner les projets car il est au carrefour de toutes les directions, et proche de la direction générale, c’est la fonction transverse par excellence." Une tendance qui n’est pas près de s’inverser, témoigne Nicolas Roux, CFO de Malt : "Je pilote, au sein du comex, la mise en place d’une démarche ESG. À l’avenir, parce que nous avons la chance d’avoir une vision à 360° de l’entreprise, la performance extra-financière sera de plus en plus du côté des financiers."
En 2022, 85 % des chefs d’entreprise considèraient que la RSE était avant tout un sujet de préoccupation pour le DAF
Data
À cette place transversale s’ajoute l’expertise historique des directions financières en collecte et certification de données. La data étant aujourd’hui l’unité de mesure privilégiée des politiques ESG, les équipes de financiers sont sollicitées pour les communiquer. Une responsabilité plébiscitée par les directions générales. En 2022, 85 % des chefs d’entreprise considèraient que la RSE était avant tout un sujet de préoccupation pour le DAF et estiment qu’il s’agit du deuxième défi le plus courant pour lequel ce dernier joue un rôle clé, d’après une étude Anaplan & Harris Insight. Pour Susanne Liepmann, les directions financières "analysent et monitorent les risques auxquels est exposée l’entreprise. Or les risques ESG, notamment environnementaux, nécessitent de plus en plus de surveillance afin de réduire et d’anticiper leurs impacts sur les modèles économiques et la rentabilité de l’entreprise."
Financement et réglementation
Si les DAF se voient de plus en plus impliqués par les sujets ESG, c’est aussi en raison de l’indexation croissante des financements sur des critères extra-financiers. Banques, investisseurs, acquéreurs, clients, toutes les parties prenantes autour de l’entreprise exigent une performance extra-financière et un modèle économique durable. Fonds à impact, green bonds, certains financements sont aujourd’hui réservés aux entreprises dont l’impact ESG est au coeur de la stratégie de développement. À tel point que, pour Aurélien Bon, directeur financier d’Harmonie Mutuelle, "il sera de moins en moins possible de décorréler les performances financières et extrafinancières, et la capacité de traduire cette performance extra-financière sur la productivité de l’entreprise incombera de plus en plus à la direction financière, très écoutée par la direction générale." Un accès au financement qui va de pair avec une obligation de reporting croissante. L’entrée en vigueur de la directive CSRD en 2024 mobilise les directions financières en charge de formaliser les reportings.
"Un groupe coté énergivore sera rompu à ces enjeux depuis plusieurs années, ce sera différent pour une PME dans les services." Stéphane Durand, Lincoln
Disparité
À noter, les directions financières ne sont pourtant pas toutes égales devant la maîtrise du sujet. Les groupes cotés, en raison des enjeux réputationnels et réglementaires que représentent les sujets ESG, ont musclé leurs directions financières, qui travaillent souvent de concert avec une direction RSE. "On trouve des maturités très disparates en fonction des secteurs et des tailles. Un groupe coté énergivore sera rompu à ces enjeux depuis plusieurs années, ce sera différent pour une PME dans les services. Cet écart est amené à se réduire avec la montée en puissance du cadre réglementaire, quasiment toutes les entreprises vont être soumises à des reportings extra-financiers", explique Stéphane Durand. Dans quelle mesure, l’entrée en vigueur imminente de la directive CSRD, changera-t-elle la donne ?
Céline Toni