Décideurs. Que pensez-vous du plan de relance européen ? Vous paraît-il bien calibré ?
Pierre Gattaz. Nous le voyons comme une chance sans précédent pour l’Europe. C’est la première fois qu’autant d’argent est mis sur la table et aussi rapidement. Le tout avec un endettement européen, ce qui est aussi une grande première et une prise de risque. Ce plan a permis de passer la crise sanitaire d’une part et, a renforcé la légitimité de l’UE, d’autre part. On espère qu’il constituera une opportunité pour transformer nos économies qui doivent réaliser leur transition numérique et environnementale. Cela, c’est le côté positif. Il y a également des côtés négatifs, un peu plus inquiétants.
Quels sont-ils ?
Nous voudrions être sûrs que ces fonds de relance soient utilisés efficacement, qu’ils financent les filières d’avenir, l’emploi, des projets utiles. Il ne faut surtout pas soupoudrer le désert avec du sable, par des investissements qui iraient dans des déficits et des dettes. C’est une démarche entrepreneuriale. Dans une entreprise, on fait attention à la gabegie. Il en est de même au niveau européen.
En juin 2021, vous avez publié une analyse des plans nationaux, à partir d’un sondage auprès des 34 fédérations patronales que vous représentez. Qu’en ressort-il ?
Quatre grands messages. Plus de la majorité des employeurs pensent que le plan aura un impact au moins positif sur la croissance et la création d’emplois à long terme. Mais seulement 11 % estiment qu’il sera important ou très important. C’est très mesuré. À leurs yeux, les mesures ne suffiront sans doute pas. Ensuite, ils ont très peur qu’on ne mette pas suffisamment l’accent sur la compétitivité des entreprises, notamment la recherche, le développement et l’innovation. C’est un élément très fort qui revient constamment de la part de nos membres. Troisième message : 47 % jugent que les plans manquent d’engagements et de réformes et que les pays devraient profiter de cet argent pour lancer des réformes plus structurelles. Enfin, une grande majorité (71 %) considèrent n’avoir pas été suffisamment consultés dans le cadre de ces plans.
Sur la compétitivité, qu’est-ce qui pourrait être fait de plus ?
Améliorer la compétitivité consiste à essayer d’alléger les contraintes, les normes et les lois. En France, on compte 80 codes et 400 000 normes. Quand vous ajoutez le niveau européen, vous commencez à avoir très peur. En ce qui concerne le paquet climat "Fit for 55" par exemple, on est tous d’accord pour dire qu’il est nécessaire. Mais il y a deux façons de le mettre en œuvre : avec moins de normes et moins de taxes afin d’être compétitif face aux Chinois et aux Américains. Si, à l’inverse, vous augmentez la complexité et créez un environnement moins "business friendly", vous tuez les entreprises. Prenez l’exemple de la pénibilité en France. Sur le principe, c’est très vertueux de s’assurer que les salariés ont des métiers le moins pénible possible. Mais soit vous avez ce qui a été fait sous le gouvernement Hollande – une usine à gaz qui va dans le menu détail de critères de pénibilité – et qui est du délire. Ou alors, vous dites aux entreprises : vous êtes sérieuses, on vous fait confiance. On va réduire la pénibilité ensemble en partageant les meilleures pratiques.
"Améliorer la compétitivité consiste à alléger les contraintes, les normes et les lois"
Selon vous, quels sujets la France devrait favoriser dans le cadre de la présidence de l’UE ?
J’insiste sur le besoin de compétitivité. Il y a de bonnes choses dans le programme de la présidence française. Sur le numérique, nous sommes tout à fait d’accord avec le Digital Service Act (sécurité des utilisateurs, transparence en ligne, etc.). Dans sa négociation actuelle avec le Parlement européen, la présidence française doit défendre, selon nous, les orientations décidées par le Conseil européen, qui sont de bonnes orientations. Je pense au principe du pays d’origine, qui soumettra les acteurs numériques à la supervision d’un régulateur. Ce qui évitera d’avoir les 27 autorités nationales qui donnent chacune leur avis. Une autre priorité d’Emmanuel Macron est l’instauration d’un salaire minimum et, là-dessus, nous nous montrons plus réservés. Nous sommes d’accord sur l’objectif : proposer et préserver des emplois de qualité, qualifiés et mieux rémunérés. On n’est pas contre un salaire minimum en Europe mais, si on veut assurer une compétitivité à long terme, il faut que la directive européenne respecte les compétences nationales en matière de politiques salariales et le dialogue social qui marche extrêmement bien dans certains pays.
Et concernant la taxe carbone aux frontières ?
Nous partageons son objectif, inciter à polluer moins. Les entreprises européennes se montrent plus engagées que le reste du monde en matière d’environnement. Nous sommes prêts à faire plus. Mais attention à la manière dont la taxe va être calibrée pour rester compétitive face à la Chine, par exemple, qui n’affiche pas le même niveau d’ambitions. Autre sujet : le cadre budgétaire. La présidence française doit revoir les règles de Maastricht afin d’acter les nouveaux besoins en financement. C’est une bonne chose mais il faut veiller à mettre en place des règles simplifiées et compréhensibles mais des règles tout de même car on ne peut pas laisser le système ouvert.
Pensez-vous que l’Europe fasse suffisamment en matière de politique industrielle ?
Je suis président de Radiall, une ETI familiale de 3 500 personnes qui fait fonctionner cinq usines. Je sais ce qu’est l’industrie et je sais qu’elle est fondamentale pour l’économie d’un pays. En France, on a favorisé des concepts intellectuels et l’économie de la connaissance quand les Autrichiens, les Suisses ou les Néerlandais conservaient leurs usines. On va avoir besoin du numérique mais aussi de se réindustrialiser. C’est n’est pas l’un contre l’autre mais l’un avec l’autre. La quantité va compter mais aussi la qualité. Il faut monter en gamme. Le commissaire Thierry Breton a fait preuve d’une bonne gestion de la crise sanitaire et nous sommes en faveur de ce qu’il propose sur les autres sujets, comme les semi-conducteurs. Il faut que l’Europe soit autonome.
Propos recueillis par Olivia Vignaud