Après avoir défrayé la chronique durant toute l’année écoulée, voilà Renault une fois de plus sous le feu des projecteurs médiatiques. À la rocambolesque évasion de son PDG déchu, Carlos Ghosn, qui, exfiltré du Japon et réfugié au Liban entend désormais « laver son honneur » auprès de Nissan et, accessoirement, attaquer Renault aux Prud’hommes…, s’ajoutait il y a peu l’annonce de l’arrivée imminente d’un nouveau directeur général, Luca de Meo, encore patron de Seat il y a quelques semaines, pour succéder à Thierry Bolloré, congédié par Jean-Dominique Senard en octobre dernier. Une arrivée qui, à elle seule, en dit long sur la situation du constructeur qui, entre ventes en baisse et trésorerie exsangue, ne parvient plus à cacher ses difficultés, ainsi que sur les attentes liées à cette nomination.
"Ce que recherche Renault aujourd'hui ? Un sauveur"
Pour Tommaso Pardi, spécialiste du secteur auto et directeur du Gerpisa (groupe d’études et de recherche sur l’industrie automobile) le signal est clair. « Renault a toujours eu pour habitude de choisir ses DG en interne et français, rappelle-t-il. Faire appel aujourd’hui à un italien en poste chez VW marque une double rupture dans la tradition de gouvernance du groupe qui prouve que, ce que recherche Renault aujourd’hui, c’est un sauveur. » Un rôle qui, au vu de son parcours et de son profil, pourrait bien convenir à Luca de Meo, fin connaisseur des marchés et des produits, apte, si l’on en croit ses résultats passés, à accélérer le développement du groupe à l’international autant qu’à redorer son blason en interne.
Baroudeur
« Renault a beaucoup changé de profil ces dernières années : non seulement le groupe est censé être engagé dans une alliance mondiale mais il est clair désormais qu’il a réussi l’internationalisation de ses marques », explique Bernard Julien, ancien président du Gerpisa, pour qui la dynamique du groupe s’en trouve suffisamment modifiée pour justifier que celui-ci rompe avec sa culture d’une direction 100 % made in France. D’autant que, à la « modernité » du profil international de ce natif de Milan parlant cinq langues – indubitablement dans l’air du temps chez les grandes entreprises, estime l’expert qui rappelle que le gouvernement s’est félicité de voir Air France rallier cette option à l’arrivée de Ben Smith, il y a 18 mois –, s’ajoute une connaissance réelle de l’entreprise puisque c’est chez Renault qu’il y a vingt-cinq ans Lucas de Meo fait ses premiers pas dans l’auto.
Viendront ensuite Toyota, puis Fiat où, entre autres titres de gloire, se trouvent le fait d’avoir orchestré le retour de la Fiat 500 mais aussi d’avoir présidé aux succès d’Alfa Romeo, et enfin chez Volkswagen où, après avoir été directeur du marketing groupe puis responsable des ventes d’Audi, il prenait, il y a cinq ans, la présidence de Seat dont il démissionnait le 7 janvier. Un parcours qui aura donné à Luca de Meo, outre une conscience aiguë des marques, l’agilité nécessaire pour passer de l’une à l’autre autant que d’une stratégie locale à des ambitions mondiales. Pour Bernard Julien, « c’est précisément ce profil de baroudeur de l’industrie qui peut être perçu comme vertueux aujourd’hui ». À l’heure où l’avenir de Renault semble de plus en plus conditionné à sa capacité de jouer ailleurs qu’à domicile. Non seulement en relançant l’Alliance mais aussi en passant à la vitesse supérieure à l’international.
« Homme de la bagnole »
« Renault a une présence non négligeable hors Europe avec des positions assez fortes en Russie, au Brésil et en Inde que Luca de Meo saura valoriser, poursuit-t-il, lui qui, d’une part, a fait de Seat une vraie marque européenne et qui, d’autre part, sait qu’on ne gère pas une marque européenne comme on gère une marque mondiale. » À cette expertise stratégique pour Renault s’en ajoute une autre, tout aussi précieuse : non seulement la maîtrise mais aussi le goût du produit sur lesquels l’ex-patron de Seat a bâti sa carrière et sa réputation d’authentique « homme de la bagnole ». « Luca de Meo est clairement ce qu’on appelle un car guy, un homme de produit dans le sens plus commercial qu’ingénieur, résume l’expert. Quelqu’un qui sait construire un catalogue et faire en sorte que celui-ci colle aux attentes du marché. » Idéal, donc, pour une marque comme Renault chez qui l’urgence consiste désormais à repositionner ses produits. Pour cela, fini les profils iconoclastes et le recours aux expertises hors-auto longtemps privilégiées. La marque a besoin d’un homme du sérail, apte à opérer un recentrage sur son cœur de métier en restaurant l’attractivité de produits qui, pour certains, ne se vendent plus aujourd’hui qu’à coup de rabais… Ce qui ne suffit ni à assurer le retour au cash-flow positif promis par l’ancienne direction, ni à redorer le blason de la marque face aux avancées de la concurrence.
Instinctif
Car, quels qu’aient été les efforts déployés par Thierry Bolloré pour relativiser l’ampleur du problème, Renault se trouve aujourd’hui bel et bien pénalisé par une gamme défaillante mais aussi, estime Bernard Julien, par une Alliance qui, contrairement au discours officiel de l’ancienne direction, serait loin d’avoir tenu toutes ses promesses. « Le changement de présidence a révélé que Thierry Bolloré, en matière de politique produits comme de synergies de marques, avait longtemps pratiqué une politique de l’autruche, explique-t-il. Celle-ci était tolérée par Carlos Ghosn mais s’est avérée rédhibitoire avec son successeur. » D’où la déception de ce dernier lorsqu’il est devenu flagrant que les synergies avec Nissan laissaient à désirer. Que les plateformes, présentées comme communes, ne l’étaient par réellement et ne généraient, en réalité, qu’une partie des économies de coûts de production annoncées. « C’est parce que Senard a pris la mesure de tout cela qu’il a écarté Thierry Bolloré et que, pour le remplacer, il se tourne aujourd’hui vers un homme de terrain et de métier tel que Luca de Meo, affirme Bernard Julien. Celui-ci a un vrai feeling du produit et des marchés, il sait d’instinct ce qui va marcher. Voilà pourquoi Jean-Dominique Senard est allé le chercher. » Et voilà pourquoi il compte sur lui pour restaurer la fierté de la marque autant que sa profitabilité.
Complémentarité
Pour y parvenir, l’objectif est désormais clair : revenir à des ventes profitables. Et cela aussi, Luca de Meo sait faire, lui qui, outre le succès de la Fiat 500, aura réussi à redynamiser la gamme Seat au point de lui permettre, en 2018, de voir ses ventes dépasser les 400 000 véhicules en Europe, son bas de bilan revenir dans le vert et son image rajeunir jusqu’à lui valoir la clientèle la plus jeune du groupe. Un fait d’armes qui, ajouté à un esprit que l’on dit rapide et brillant chez cet ancien diplômé de la prestigieuse Université Bocconi, à Milan – où Mario Monti fera aussi ses classes –, à une connaissance profonde et réelle du produit et à une aptitude à surfer entre marques et marchés, pourrait bien faire de lui, sinon le sauveur de Renault, du moins son nouvel homme fort. Surtout lorsque l’on sait qu’à ses compétences métier s’ajoute un sens de l’humain et de l’écoute faisant de lui, outre un meneur d’hommes apte à susciter l’adhésion, un « patron capable de capitaliser sur les forces en interne ». Exactement, estime Bernard Julien, ce dont Jean-Dominique Senard a besoin après ce qu’il appelle « le flop du tandem avec Bolloré ». « Avec Luca de Meo, il devrait former un binôme d’une plus grande complémentarité », estime-t-il. Lui l’homme de terrain, de contact et de l’auto. Jean-Dominique Senard, le stratège visionnaire… De quoi, si Luca de Meo se libère rapidement de la clause de non-concurrence signée chez VW, permettre à Renault d’en finir définitivement avec l’Ancien Régime de Carlos Ghosn.
Caroline Castets