L’Autorité des marchés financiers (AMF) vient d’éditer un guide à destination des entreprises soumises depuis le 1er janvier 2024 à la directive CSRD. La centaine de pages de l’ouvrage souligne l’ampleur du travail de préparation qu’exige la publication des informations imposée par ce texte clef du Pacte vert européen.

Nouvelle couche du millefeuille légal des entreprises. La directive dite CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui remplace celle dite NFRD, s’applique déjà pour certaines entreprises à leur exercice ouvert depuis le début de l’année 2024. L’Autorité des marchés financiers (AMF) a sorti le 9 février dernier un guide d’une centaine de pages pour aiguiller les sociétés face au renforcement de leurs obligations informatives. Il s’intitule “Rendre compte de son plan de transition climatique au format ESRS”

Ne plus remplir des cases

La Commission européenne ambitionne de faire de l’Europe le premier continent à atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050. La directive pose un cadre ambitieux, “une marche à gravir importante” pour les entreprises mais nécessaire pour montrer le niveau de préparation et la compatibilité de leur modèle d'affaires avec l’économie bas-carbone. Le guide est clair : “L’application des normes ESRS* (European Sustainability Reporting Standards - standards européens de reporting sur la durabilité) ne doit ainsi pas être vue comme une démarche de transparence exigeant simplement de "remplir les cases"”. Elle doit plutôt être appréhendée “comme un exercice de réflexion et de communication sur la stratégie climatique et plus globale de l’entreprise, dans une démarche d’amélioration continue”. C’est un groupe de travail de la Commission climat et finance durable (CCFD) de l’AMF, présidée par Robert Ophèle, membre du Collège et ancien président de l’AMF, qui a été missionné pour décrypter, expliquer et contextualiser les attentes réglementaires du standard Climat (norme European Sustainability Reporting Standards ESRS E1) relatives au plan de transition climatique. Avec dans le rôle des corapporteurs : Mathieu Garnero de l’agence de la transition écologique (ADEME), et Émilie Thiery, directrice juridique adjointe droit des sociétés & droit boursier chez L’Oréal.

Le périmètre du nouveau texte adopté en décembre 2022 couvre quatre fois plus d’entreprises – les grandes entreprises et les PME cotées en Bourse. Elles étaient 11 700 à être concernées par la NFRD. Elles seront plus de 50 000 à être soumises aux nouvelles obligations de la directive CSRD et à devoir insérer le reporting de durabilité dans leur rapport de gestion. Les entreprises non européennes dotées d’un ancrage significatif dans le Vieux Continent font partie du lot. La CSRD modifie quatre textes européens déjà en place: la directive Comptable, la directive Transparence, la directive Audit et le règlement Audit.

La CSRD est l'occasion de redéfinir sa stratégie face au changement climatique

Au cœur de cette directive : le reporting extrafinancier des données ESG (Environnementaux, Sociaux et Gouvernance) de l'entreprise, selon douze standards, qui permet de bâtir un plan de transition. Soit “l’outil qui permet d’ancrer dans la stratégie de l’entreprise des objectifs à long terme et de décliner cette planification à des horizons de court et moyen terme, en lien avec l’horizon de planification financière des entreprises”. Comprendre : à la lecture du plan, les parties prenantes et notamment les investisseurs doivent pouvoir juger de la cohérence des ambitions de sobriété des entreprises avec leurs réalités financières. Pour convaincre, les entreprises doivent lister les efforts (les leviers de décarbonation) qu’elles prévoient de fournir : améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments, utiliser des énergies renouvelables… Selon une approche de double matérialité consistant à mettre en face des effets des enjeux de durabilité sur leur situation et leur performance financières, les impacts sur l’environnement et la société. Le cabinet de conseil Carbone 4 fondé par Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean explique que “répondre à la CSRD n'est donc pas seulement un geste de reporting extrafinancier de plus, mais l'occasion de redéfinir sa stratégie face au changement climatique, ralliant les équipes dirigeantes, experts climats internes, ainsi que les équipes opérationnelles formées à ces enjeux”.

Horizon de temps habituellement hors champ des réflexions économiques

À l’origine du concept de neutralité carbone, il y a les conclusions des scientifiques du climat à la fin des années 2000 qui relient les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par les activités humaines et la hausse de la température moyenne globale par rapport à l’ère préindustrielle. “Le rythme actuel d’émissions de GES et ses évolutions estimées rendent l’atteinte de l’objectif de l’Accord de Paris très incertaine.” On lit entre les lignes un décalage entre les délais serrés à respecter pour espérer ne pas dépasser la limite du 1,5 degré et le temps qu’il faudra aux entreprises pour réduire leur GES. Selon l’AMF, “à date, le niveau d’émissions est en effet bien trop élevé, et l’objectif de température de l’Accord de Paris en 2100 concerne un horizon de temps habituellement hors champ des réflexions économiques.” Pour le groupe de travail international de la Task Force on Climate-related Financial Disclosures créée par le Conseil de stabilité financière en 2015, il faut rompre avec cette “stratégie des horizons”.

“Aucune entreprise ne projette son activité sur des horizons identiques à ceux qui sont habituellement utilisés lorsqu’il est question d’analyse climatique”

Parmi l'échantillon d'entreprises interrogées pour l'élaboration du guide, 22 sur 31 – soit 71 % – ont fixé un objectif à l’horizon 2025 et 20 – soit 65 % – se sont projetées à l’horizon 2050. Pour elles, une projection de l’activité à l’horizon 2030-2050 est, par nature, hypothétique et approximative. Il leur est impossible par exemple de prévoir ce que d’autres décident pour elles : les politiques publiques, les futures innovations, l’inflation ou les choix des consommateurs. Les entreprises adoptent en général des plans stratégiques à cinq ans, parfois un peu plus pour ce qui est des capex (les dépenses d'investissement consacrées à l'achat d'équipement professionnel). “Aucune entreprise ne projette son activité sur des horizons identiques à ceux qui sont habituellement utilisés lorsqu’il est question d’analyse climatique.”

Certains n’écartent pas le risque d’un reporting a minima. Certaines entreprises de l’échantillon ont fait part de leur crainte d’être accusées de greenwashing en cas de communication des émissions évitées. Une autre, un grand groupe industriel, dit ne pas les comptabiliser, ni les crédits carbone en réduction de notre empreinte carbone – “Nous ne perdons pas de temps à les calculer.” Sans oublier les moyens financiers et humains massifs que les entreprises doivent mobiliser pour répondre aux exigences de la CSRD. “Dans certaines entreprises, le sujet peut occuper jusqu'à 60 personnes”, indiquait aux Échos Marie Georges, directrice exécutive sustainability France et Benelux d’Accenture France. Dans sa chronique parue dans le Monde, le professeur des sciences de gestion Armand Hatchuel rappelait que les sciences de gestion ont souvent dit que l’obligation de reporting n’entraîne pas nécessairement un comportement vertueux.

Anne-Laure Blouin

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