Personne n’a marché sur la Lune, Michael Jackson se porte comme un charme, des lézards masqués administrent le monde, la Terre est plate et le réchauffement climatique est une vue de l’esprit.
Alors qu’un certain consensus devrait embrasser l’idée d’un dérèglement climatique, nous assistons, d’un côté à une incessante prise de conscience de sa réalité, de l’autre, à sa remise en cause catégorique ou à la remise en question de son caractère anthropique. Les rapports du Giec se succèdent, confortés par des événements climatiques toujours plus déroutants. Malgré tout, les théories du complot prospèrent. Que ce soit pour instaurer une dictature climatique, en vue d’imposer une gouvernance mondiale ou dans la perspective de préserver la compétitivité de la Chine, leurs architectes redoublent d’inventivité dans leur éternelle croisade contre la vérité, la science ou la notion de coïncidence.
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Créativité
Qu’un groupe de scientifiques ait un jour estimé qu’il fallait réduire notre empreinte carbone, comme ça, arbitrairement, constitue une thèse tout à fait acceptable pour certains. Un complot n’a pas besoin de machination cachée, il est capable de s’auto-nourrir en étant l’inverse, le contraire, ou simplement en allant à l’encontre de la vérité générale. Si prouver que la Terre est plate est au moins aussi compliqué que de la prétendre ronde, continuer à nier le changement climatique ou l’impact de l’empreinte humaine sur son accélération requiert, en revanche, une forme de créativité. Et quand bien même le Giec aurait tort, il est, aujourd’hui, difficilement contestable que les orangs-outans pleurent quand une tartine s’abandonne sous une couche de Nutella, que les mérous se désolent de l’irruption d’un bungalow dans leur secteur de ravitaillement et que les perroquets sont un peu anxieux lorsque l’Amazonie brûle. Il demeure que certains croient encore que le programme Apollo 11 ne s’est pas conclu d’une promenade sur la Lune, malgré cinquante ans de recul, de contre-arguments implacables et un numéro des aventures de Tintin.
Les incohérences stratégiques, les exhortations non incarnées, les mises en garde molles, nourrissent le scepticisme, alimentent la méfiance
Sphères
Le militantisme écologique, parfois qualifié d’écoterrorisme, qui s’exprime sous des morphologies toujours plus ambitieuses, et l’insuffisance des décisions prises en matière climatique inspirent deux sentiments distincts : l’éco-anxiété et le climato-scepticisme. Les figures émergentes du combat climatique étant caricaturées quand elles ne sont pas, par nature, un peu caricaturales, il est légitime de se demander qui, devant leurs actions, va se dire "Demain, j’arrête la bagnole" ou "J’annule mon billet pour Bora-Bora et j’achète un savon solide" ? Les activistes modernes, qu’ils s’assoient au beau milieu de la route ou aspergent les toiles de soupe, participent à brouiller un message et une cause qui devraient être partagés par tous, et à grossir les rangs d’une opposition jusque-là neutre. Il ne s’agit donc pas de confronter le climato-scepticisme à une forme de radicalité écologique qui, bien souvent, ne fait que le nourrir, mais de faire entendre qu’un consensus des meilleurs scientifiques de 195 États ne constitue pas qu’une gageure. Il se trouvera, de toute manière, toujours quelqu’un pour continuer à se référer aux trois scientifiques qui partagent son scepticisme, appuyés par quelque animateur télé toujours prompt à ironiser sur la grêle en mai pour souligner que s’il fait parfois froid, c’est que le réchauffement climatique est une mascarade de grande envergure. La frontière est mince entre l'exigence de la nuance et le soupçon inconditionnel.
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Approximations
Avant que l’on ne nous contraigne à quatre vols par existence, peut-être attend-t-on qu’une clémentine ne fasse pas le tour du monde avant de venir se blottir contre une fraise espagnole et une mangue indienne dans notre salade de fruits. Qu’un agrume présente un passeport plus tamponné que le commun des mortels peut interroger notre modèle de société. L’élan collectif ne pourra advenir si de telles excentricités continuent d’être votées, normées, planifiées. Les incohérences stratégiques, les exhortations non incarnées, les mises en garde molles, nourrissent le scepticisme, alimentent la méfiance. De la méfiance naît la défiance, qui donne vie au complot. La parole publique souffre encore de trop d’approximations pour ne pas s’accommoder de quelques esprits critiques. Le sujet mérite un peu de clarté et l’on est plus convaincant quand vient le temps d’annoncer la fin de l’abondance si l’on n’a pas été pris en photo chevauchant un jet-ski quelques jours plus tôt. Si certains conspirationnistes ne sont pas sensibles au caractère tangible d’un phénomène, aux preuves irréfutables de sa réalité, peut-être qu’une forme d’harmonisation des narratifs concourrait à convaincre quelques sceptiques.
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La sphère politico-médiatique se complait à dénoncer les complots de tout genre, aime ridiculiser à l’avance la possibilité qu'ils ne surviennent, mais la liberté d’expression ce n’est pas que pour les gens qui disent des choses que l’on accepte d’entendre. De l’inconsistance de l’exécutif, de la fantaisie de certains comportements et du fondamentalisme de l’écologie radicale émerge, au sein de la population, une perplexité bien naturelle. Un constat s’il n’est pas partagé, c’est déjà un complot.
Alban Castres