La réforme des retraites a mis en lumière quelques farfelus, dont l’ambition suprême semble être d’un peu profiter de la vie.  Qui sont ces épicuriens modernes, ces insatiables jouisseurs ? Comment en est-on arrivé à créer les conditions pour que de telles tentations émergent ?

Si le jeune Enzo, manifestant contre la réforme des retraites, s’est pris une volée de bois verts à l’évocation d’une semaine délestée d’une dizaine d'heures de travail, c’est que la notion de bien-être demeure écartée de toute réflexion, dans une société où tout est fait pour que notre vie se résume à notre activité professionnelle. Arthur Schopenhauer établissait que "toute vérité franchit trois étapes. D’abord elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence". Et si Enzo n’en était qu’à la première étape ? Si l’on s’en tient au temps de travail effectif moyen par jour, qui selon diverses études oscille entre 2 heures 53 et 5 heures, l’hypothèse n’est pas si extravagante, pour peu que la réduction du temps de travail n’altère pas cette efficacité.

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Corporatisme déclinant

Il n’est pas question ici de discuter de la nécessité ou non d’une telle réforme mais d’en examiner la portée sociale. Comment la "valeur travail" aurait pu sortir indemne de décennies successives d’érosion du sens du travail ? Plus qu’un corporatisme à tout crin, c’était bien le sens du devoir qui rythmait la vie des travailleurs dans les années 1960. Si ce rapport au travail s’est détérioré, c’est peut-être qu’il n’est devenu que l’équation simple de la pénibilité versus le salaire. Si l’on s’efforce de trouver un équilibre entre vie personnelle et professionnelle c’est qu’il y a un problème avec le monde du travail. Si l’on impose de choisir entre "sens" et "salaire" c’est qu’il y a un problème avec le monde du travail. Il convient de sortir du débat de l’âge de départ à la retraite et d’entamer celui de notre rapport au travail.

Maltraitance médiatique

Qu’y a-t-il de pire pour un manutentionnaire que d’allumer sa télévision et d’assister, impuissant, au spectacle que produisent cinq diplômés de Sciences Po qui commentent la prise de parole d’un étudiant et s’amusent de ce que tout un chacun est tenu de considérer comme un fantasme. Tout le monde n’est pas en mesure de chevaucher sa bicyclette quelques minutes pour atteindre son bureau chauffé ou climatisé selon la saison, réfléchir vaguement, engloutir trois cafés issus du commerce équitable, remplir les colonnes d’un tableau Excel avant de retourner chez soi avec le sentiment du devoir accompli. Notre parole, celle des journalistes, est cruciale en ce qu’elle infuse au moins un peu auprès des lecteurs, auditeurs, spectateurs, téléspectateurs. Si elle n’est pas intéressante, au moins qu’elle soit représentative d’autre chose que de notre simple avis, qu’elle ne soit pas le seul porte-étendard de nos convictions ni l’outil de diffusion d’une vérité absolue que chacun serait sommé de suivre.

Il convient de sortir du débat de l’âge de départ à la retraite et d’entamer celui de notre rapport au travail

Socialwashing

Dans la famille RSE je voudrais le "S". La dix-neuvième lettre de l’alphabet demeure assez peu exigeante pour que des entreprises se revendiquent d’en être pour un hamac dans le hall d’entrée ou un flipper dans le réfectoire. Un happiness manager, un escape game par an et quelques croissants semblent être devenus les trois mamelles du bien-être en entreprise qui emprunte pourtant souvent des itinéraires moins grossiers, creusés par le sens, l’utilité ou le mérite. À ce titre, le télétravail a fait figure de révolution, accordant à ceux à qui il s’offrait une liberté inhabituelle dans un environnement de rigueur et d’exigence. Celui-ci a enfoncé la porte du monde du travail et les chefs d’entreprise, notoirement rétifs à sa généralisation, se sont félicités d’y avoir recouru avant la crise sanitaire. Il en sera de même lorsque le pays s’intéressera à la semaine de quatre jours. Suggérez-moi une contrainte et je la contournerai, soumettez-la-moi et je m’en prétendrai l’instigateur.

Le télétravail est une réalité malgré la cabriole de quelques entreprises. L’adaptation de nos managers nécessitera une nouvelle édition du livre Le management pour les nuls intégrant un chapitre "Le leadership à distance". Et la semaine de quatre jours l’édition d’un ouvrage Que faire de tout ce temps libre ?.

Alban Castres

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