Le ministre de l’Intérieur avait minutieusement préparé son rassemblement de Tourcoing le 27 août. Mais tout ne s'est pas passé comme prévu.
Un responsable politique rêvant à un destin de présidentiable doit respecter plusieurs étapes incontournables. Parmi elles, la mise en scène d’une rentrée politique, événement qui présente de nombreux atouts : rassembler ses troupes, rendre publique sa ligne, assumer sa détermination, montrer que l’on se met à son compte. Connu pour ses ambitions et son sens politique, Gérald Darmanin a donc organisé son premier grand raout le 27 août dans son fief de Tourcoing.
Préparer le terrain
Tout l’été, le ministre de l’Intérieur a fait monter la température. Après avoir pris la lumière en soutenant sans réserve les forces de l’ordre dans les semaines qui ont suivi les émeutes fin juin et début juillet, le quadragénaire s’est clairement positionné pour le prochain scrutin présidentiel. Ainsi, dans un entretien accordé au Figaro le 13 août, il s’est projeté vers 2027, estimant la victoire de Marine Le Pen "assez probable". La seule réponse, selon lui, est de reconquérir les classes populaires en "parlant avec les tripes", en se montrant ferme sur le régalien, attentif aux questions sociales, tout en évitant les discours et postures technocratiques : "Il ne faudrait pas que l’on remette notre avenir entre les mains de la technique et des techniciens en utilisant des mots que les Français ne comprennent pas toujours. On doit parler avec le cœur, pas avec des statistiques." Des propos réitérés à La Voix du Nord quelques jours plus tard. En filigrane, il dresse le portrait-robot d’un candidat idéal qui lui ressemble étrangement. Restait à savoir la position des membres de la majorité face à cette offre de service. Le rassemblement de Tourcoing avait pour but d’apporter quelques éléments de réponse.
Des invités de marque
Lors des premières heures de ce meeting politique officieux, Gérald Darmanin pouvait sourire à la vue de la foule et des macronistes présents au parc floral de sa ville. Celui qui est souvent affublé de l’étiquette de "sarkozyste" semble pouvoir incarner la relève du macronisme. Sans surprise, de nombreuses figures issues de la droite se sont pressées au rendez-vous. Parmi elles, Renaud Muselier président de la région Sud (anciennement Provence-Alpes-Côte d’Azur) ou encore Constance Le Grip, députée des Hauts-de-Seine. Mais le maire de Tourcoing a également réuni autour de lui d’anciennes figures du PS telles que le ministre du Travail Olivier Dussopt ou encore la députée du Nord Violette Spillebout venue en voisine. "L’étoile Darmanin" attire aussi dans son orbite des personnes qui se sont véritablement engagées en politique pour Emmanuel Macron telles que Marlène Schiappa, Agnès Pannier-Runacher ou encore Sylvain Maillard, président du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale.
Paris Match était au rendez-vous pour photographier Gérald Darmanin et sa femme comme il sied à un présidentiable
Saucisses-frites et bras de chemise
Le public a pu assister au déploiement du "darmanisme". Sur la forme, cela passe par un état d’esprit qui se veut populaire et à la bonne franquette. Saucisses-frites à manger sans couverts au menu, tutoiement généralisé, tapes dans le dos, parties de bourle (jeu de boules traditionnel dans le nord de la France), tenue décontractée et en bras de chemise pour le maître des lieux tout sourire au côté de son épouse généralement discrète. Le tout sous les flashs de Paris Match. N’oublions pas qu’une stature présidentielle se construit aussi par la mise en scène d’un couple heureux censé incarner un côté humain, équilibré. Bref, de la grosse com qui tache mais qui marche. Preuve en est avec Nicolas et Cécilia, Nicolas et Carla, François et Valérie ou encore Emmanuel et Brigitte, tous passés par la case "étalage de la vie privée" dans le célèbre hebdomadaire.
Sur le fond, le discours de Gérald Darmanin ne fait que confirmer l’espace politique qu’il s’est choisi : une droite sociale, proche des milieux modestes, anti-technocratique. Quitte à en faire un peu trop, notamment lorsqu’il regrette "que le patron ne fasse plus le tour des ouvriers en arrivant" ou qu’il enchaîne les poncifs tels que "les gens modestes n’ont pas de résidence secondaire", "à l’école, l’autorité est moins forte qu’avant" ou encore "il faut rapprocher les gens des décisions"… Pour le moment, le fond est hésitant. Mais qu’importe, l’essentiel est là : une doctrine, un public constitué à la fois de macronistes de droite et de gauche, du beau temps, des journalistes présents en grand nombre. Le film présentant un jeune ambitieux rassembleur mais fidèle aurait pu parfaitement se dérouler.
Élisabeth Borne joue les trouble-fêtes
Mais un grain de sable est venu tout perturber. La veille du rassemblement, Élisabeth Borne a annoncé sa venue. Hiérarchie oblige, elle a clôturé la journée en prononçant un discours que l’organisateur qui s’imaginait seule vedette a écouté avec un sourire crispé. Il faut dire que l’hôte de Matignon a sorti la sulfateuse.
Élisabeth Borne "n’avait pas prévu de passer la dernière semaine d’août à Tourcoing" mais a "tenu à passer quelques messages" à l’étudiant s’imaginant prendre la place du maître. Le storytelling de Gérald Darmanin consiste à se présenter comme un homme de milieu modeste perdu au milieu de technocrates ? Il n’est pas le seul à venir d’un milieu populaire, d’autres ministres ont les mêmes origines y compris Élisabeth Borne : "Chacun a son histoire, moi aussi. C’est la République qui m’a aidée alors que j’étais cette jeune fille d’immigrés, dont la mère devait élever seule ses enfants." Gérald Darmanin se voulait unique star du jour ? Pas si vite. La priorité est au collectif : "Cette unité derrière le président de la République et son projet, j’y tiens, j’y veille et j’en suis la garante." Affront suprême, elle a fait applaudir longuement Bruno Le Maire, l’un des rivaux potentiels de celui qui se rêve calife à la place du calife.
En annonçant l'interdiction de l'abaya en milieu scolaire le jour du rassemblement de Tourcoing, Gabriel Attal a privé Gérald Darmanin de lumière
En service commandé
Si Élisabeth Borne a sans doute pris un malin plaisir à torpiller la rentrée d’un ministre qui a tenté de lui prendre sa place lors du dernier remaniement, il est probable qu’elle n’a pas agi pour son propre compte. L’ordre est probablement venu de l’Élysée. Pour Emmanuel Macron, le temps de la succession n’est pas encore arrivé. Après avoir "étouffé" habilement les ambitions d’Édouard Philippe lors de son déplacement en Nouvelle-Calédonie, le président de la République a donné une leçon d’humilité à son ambitieux ministre de l’Intérieur : même à domicile, il est soumis à Élisabeth Borne et au chef de l’État. Pour compliquer les choses, Gabriel Attal, un autre jeune ambitieux est en train d’être mis sur orbite. Hasard ou non, alors que Gérald Darmanin clôturait sa rentrée politique, le ministre de l’Éducation nationale, invité au 20 heures de TF1, a annoncé l’interdiction de l’abaya dans les collèges et lycées publics. De quoi ranger l’offensive Darmanin au rayon des simples faits divers. Tout sauf un hasard ? Impossible de le savoir. Seule certitude, l’année scolaire commence de façon plus laborieuse pour l’élève Darmanin qui n’est pas encore certain de monter sur l’estrade en 2027…
Lucas Jakubowicz