Pour une grande partie de l’opinion, Olivier Véran reste le "Monsieur Covid" du gouvernement. Comment a-t-il traversé cet épisode ? Qu’en retient- il ? Réponses dans un ouvrage immersif qui mérite d’être lu.
Décideurs. Quand avez-vous eu l’idée d’écrire ce livre ?
Olivier Véran. En mars 2020 après l’annonce du premier confinement, je suis resté quelques minutes seul dans mon bureau au ministère de la Santé. Je ne sais pas pourquoi, moi qui écris et lis peu, j’ai commencé à noter à chaud ce que je ressentais. Les mois suivants, j’ai continué à faire de même. Le 15 octobre 2020, mon logement de fonction a été perquisitionné dans le cadre d’une enquête sur la gestion de la crise sanitaire et mes feuillets ont été égarés.
Je me suis remis au manuscrit en février 2022 lorsque les choses se sont apaisées, que j’avais un peu plus de temps. Mon objectif était de revenir sur les moments qui m’ont le plus ému : nomination, arrivée de la crise sanitaire, rencontre avec les familles de soignants au Grand Palais, échanges avec les experts, les élus, les citoyens... L’essentiel a été rédigé dans les trains reliant Paris à Grenoble, ma ville d’origine. Je suis touché de voir que ceux qui me connaissent retrouvent mes mots et ma manière de m’exprimer.
Au fil des pages, le champ lexical de la science est omniprésent. Pensez-vous que la politique soit une discipline rationnelle ?
Dès mon entrée en politique, j’ai toujours misé sur la rationalité qui est le meilleur rempart face au populisme tenté par la pensée magique ou les effets de manche. C’est ce principe, probablement lié à ma formation de médecin, qui a guidé mon action durant la crise sanitaire, quitte à essuyer un procès en immobilisme. Ce fut par exemple le cas lorsque j’ai exprimé des doutes sur l’efficacité de la chloroquine et demandé des études avant d’éventuellement la prescrire. De même, focaliser le début de la campagne de vaccination sur les Ehpad a fait couler beaucoup d’encre, mais c’était la solution la plus logique.
Mais les Français sont-ils rationnels ?
Tous les humains ont vocation à l’être, nous sommes dotés d’un cortex évolué. Mais certains choix peuvent répondre à une logique qui tient moins à la rationalité qu’à des pulsions diverses. On en a eu des cas comme ça, pendant la crise sanitaire... Ce qui m’inquiète surtout, c’est une certaine fragilité collective qui se manifeste par une perte d’autorité du scientifique mais aussi des médias, du politique ou du religieux.
Le lecteur est frappé par la rapidité de la prise de décision en période de pandémie. Êtes-vous nostalgique de ce mode de fonctionnement ?
D’un certain côté oui car, outre la gestion de crise, cette méthode "à la hussarde" a permis des avancées de fond : création d’une cinquième branche de la sécurité sociale dédiée à l’autonomie, revalorisation du salaire des soignants, essor de la téléconsultation, commande groupée de vaccins au niveau de l’UE… Et cela rien que dans le domaine de la santé. Mais en même temps, cette situation était exceptionnelle et le retour à la "normale", à la bureaucratie, bien que frustrante parfois, est indispensable en démocratie. Cela dit, je note que la crise sanitaire a permis aux cabinets ministériels de gagner en agilité, en coordination. Nous avons conservé un certain nombre de simplifications issues de la gestion de crise et nous les avons pérennisées.
"La gestion de crise à la hussarde a permis des avancées de fond"
Vous expliquez aussi comment vous apprenez le "rôle" de dirigeant politique et non plus de simple ministre médecin. Comment s’est déroulé cet apprentissage ?
Rapidement, pour une raison simple : nous n’avions pas le choix. Afin de renforcer l’impact de mes messages, mes conseillers m’ont très vite fait comprendre que certaines choses devaient changer. J’ai dû dompter ma mèche folle, ralentir mon débit de parole, comprendre les codes du off, des relations avec mes homologues européens, avec les élus locaux, les parlementaires. Je ne pouvais pas me contenter d’être seulement un "médecin". Il m’a fallu apprendre à être un politique et ce que l’on appelle trivialement un bon client.
Votre mue est-elle achevée ?
C’est un travail de tous les jours. Mes fonctions actuelles de porte-parole du gouvernement et de ministre chargé du Renouveau démocratique prouvent que je ne suis plus cantonné à un rôle de "Monsieur Covid".
Au ministère de la Santé, la prise de poste s’est effectuée de manière expresse. Comment êtes-vous entré dans les habits de porte-parole ? Est-ce plus serein ?
Depuis ma prise de fonction, je consulte souvent mes prédécesseurs pour éviter certains pièges, intégrer les bonnes pratiques. Parmi elles : vérifier systématiquement deux fois les informations pour se garder des couacs, ne pas basculer dans la politique politicienne lors du compte rendu des conseils des ministres, ou encore combattre la punchline qui tient en 140 caractères.
Quels conseils donner à une personne issue de la société civile qui cherche à entrer en politique ?
Il y a deux types de profils : ceux qui veulent s’engager d’eux-mêmes, pour qui la politique est ancrée en eux. Je leur conseille d’y aller. Et il y a ceux que l’on vient chercher. Pour eux, plusieurs facteurs peuvent être des freins : l’exposition médiatique, le renoncement à la vie privée, le stress permanent. Chacun sa vision des choses mais je peux assurer que, en fonction, nous sommes tellement dans l’action que l’on ne ressent pas la fatigue contrairement aux craintes de certains aspirants. L’adrénaline est un sacré boost. C’est un peu la même sensation que lorsque l’on a un bébé qui ne fait pas ses nuits…
Propos recueillis par Lucas Jakubowicz
Carnet de bord
Langue de bois, tentative de justification, narcissisme, règlements de compte, exercice d’auto-promo ou de communication, catalogue programmatique… Soyons honnêtes, la lecture d’ouvrages de responsables politiques est rarement une partie de plaisir. L’ouvrage d’Olivier Véran n’est pas fait de ce bois-là. Avec un style imagé et rythmé, l’ancien ministre de la Santé nous mène dans les coulisses de la gestion de la pandémie. Des réunions de crise de l’Élysée aux rencontres avec les élus locaux en passant par les déplacements dans les clusters, ou la visite de son logement de fonction, le ministre nous immerge dans son quotidien et n’élude rien. Ni ses doutes ni sa difficulté à gérer certains dossiers. Plusieurs passages tels que l’annonce de la nomination à ses enfants, les rencontres avec Didier Raoult, les notables marseillais, ou encore les réveillons passés à scruter la courbe des contaminations semblent tout droit sortis d’une série télévisée.