C’est inédit : Oxfam France, les Amis de la Terre et Notre Affaire à Tous ont en mis demeure BNP Paribas, première banque française, de cesser de financer de nouveaux projets fossiles. Les trois associations, qui ont décidé d’agir sur le fondement du devoir de vigilance, jugent leur dossier "extrêmement solide". Justine Ripoll, responsable de campagne pour Notre Affaire à Tous, espère qu’il fera jurisprudence.

Avec Oxfam France et les Amis de la Terre France, vous avez annoncé, le 25 octobre 2022, la mise en demeure de BNP Paribas de cesser de soutenir financièrement les nouveaux projets d’énergies fossiles, que ce soit de façon directe ou indirecte. Pourquoi cibler cette banque et cet écosystème ?

Justine Ripoll. Le secteur n’a pas été choisi au hasard : il est incontournable lorsqu’on aborde la question de la transition écologique. C’est tout le sujet de l’allocation des ressources financières. Ce contentieux est également complémentaire avec d’autres qui ont été lancés par des ONG, car quand on attaque TotalEnergies et sa stratégie climatique, il faut aussi cibler le maillon manquant, celui du financement. BNP Paribas est le premier financeur de TotalEnergies. Si l’affaire allait jusque devant les tribunaux, ce serait le premier contentieux climatique qui vise une banque sur la question des énergies fossiles. 

Au Texas, pourtant, BNP Paribas est boycottée depuis juillet car jugée trop “verte”…

La situation est loufoque. C’est une question de standards et de cadres. Une question politico-économique, également. Il faut regarder qui sont les acteurs objectifs à même de juger de la crédibilité des engagements climatiques des banques. Certaines mesures d’exclusion dans le secteur des gaz non conventionnels ont pu impacter le Texas. La BNP Paribas s’est en effet engagée à ne plus financer les entreprises dont plus de 10 % de l’activité repose sur le gaz de schiste. Peut-être que ces seuils d’exclusion ont exclu des financements de plus petites entreprises texanes moins diversifiées. Les grandes entreprises, aux activités diversifiées, n’entrent pas dans ces seuils d’exclusion.

 

"Tous les nouveaux projets fossiles sont contraires aux objectifs de transition écologique"

 

Vous reprochez à la BNP de ne pas respecter la loi sur le devoir de vigilance car elle continue de financer des projets pétroliers et gaziers. Le devoir de vigilance vise certes à prévenir les atteintes graves à l’environnement, mais peut-on considérer que les projets pétroliers et gaziers soient systématiquement des atteintes à l’environnement ?

Le GIEC, l’ONU et l'Agence internationale de l'énergie nous disent que nous ne pouvons pas continuer à consommer des énergies fossiles comme nous le faisons pour pouvoir rester dans les clous de l’Accord de Paris et que nous n’avons plus besoin d’exploiter de nouvelles ressources fossiles pour répondre à la demande énergétique mondiale. Tous les nouveaux projets fossiles sont donc contraires aux objectifs de transition écologique. La démarcation est très claire dans les bases scientifiques. Elle l’est également dans le devoir de vigilance, quand on considère la crise climatique comme une atteinte grave aux droits humains et à l’environnement.

Ce qui voudrait dire qu’à terme, plus aucun nouveau projet fossile ne pourra être cautionné… Est-ce cela que vous souhaitez faire inscrire dans la jurisprudence ?

Le premier objectif est d’obliger BNP Paribas à arrêter ses financements contraires aux objectifs climatiques. Nous allons chercher la responsabilité du pire acteur du secteur, celui qui aura donc l’impact le plus important. Le deuxième objectif est de faire bouger le secteur en entier. Mais nous souhaitons également que la justice se positionne et précise le devoir de vigilance des acteurs financiers. Le but est de faire jurisprudence. Les ONG veulent aider les juges à traiter ces dossiers. Nous savons qu’il est difficile de s’approprier une loi aussi ambitieuse, surtout avec des moyens aussi limités. Sur le sujet des énergies fossiles, nous voulons que soient inscrits comme une violation du devoir de vigilance tous les financements et investissements dans le développement des énergies fossiles.

Vous avez laissé trois mois à la BNP Paribas pour se mettre en conformité. Si elle ne le fait pas, vous saisirez le tribunal judiciaire de Paris. Espérez-vous en arriver là ?

Idéalement, nous aimerions que la BNP Paribas accède à nos demandes en trois mois. Nous atteindrions ainsi deux objectifs sur trois : celui d’avoir fait bouger l’acteur et celui d’avoir fait bouger le secteur. Il y a quand même un troisième objectif, celui de passer devant un juge pour qu’il précise la loi. Mais si nous réussissons à faire bouger la BNP Paribas et le secteur, c’est aussi une autre forme de jurisprudence, celle de la pratique communément admise. Les contentieux sur le devoir de vigilance sont longs, les juges sont à la peine et les acteurs du privé jouent souvent sur la montre pour rallonger les délais. Pour les victimes, c’est une forme de déni de justice.

Vos attentes, avec cette mise en demeure, sont-elles davantage juridiques ou sociétales ? Comment jugez-vous vos chances de succès ?

Nous sortons de longs mois à travailler sur la partie juridique. Nos ambitions sont avant tout de cet ordre. Pour nous, ce contentieux est extrêmement solide. L’esprit du devoir de vigilance appliqué aux acteurs financiers nous semble clair. Les manquements à la loi sont évidents. Nous avons de grands espoirs sur la partie juridique. Je pense que la BNP Paribas va se trouver en grande difficulté et aura du mal à répondre médiatiquement et juridiquement à cette mise en demeure. 

Bien entendu, la partie sociétale est également essentielle. Les délais judiciaires sont longs. Pendant ce temps, le soutien des citoyens et le travail de pédagogie sont importants. Les liens entre la finance et le climat ne sont pas encore très clairs dans l’esprit des citoyens, qui sont de plus en plus nombreux à faire des efforts pour le climat à leur échelle. Pourtant, c’est leur argent qui sert à financer des projets fossiles.

 

"Nous allons chercher la responsabilité du pire acteur du secteur, celui qui aura donc l’impact le plus important"

 

Ces dernières années, la BNP Paribas a publié ses plans de vigilance. Vous ont-ils servi de base pour élaborer votre mise en demeure ?

Notre travail a été non seulement de repérer tout ce qui a été publié ailleurs et devrait être ajouté dans le plan de vigilance, mais aussi d’identifier les failles des engagements déjà inclus dans le plan de vigilance. Sur ce dossier, nous avons travaillé en prenant en compte les exigences de la loi, nos ambitions pour obtenir des précisions de cette loi, et étudié chaque engagement. Plus généralement, nous réalisons chaque année un benchmark de la vigilance climatique, qui analyse les plans de vigilance de 30 grandes entreprises des secteurs les plus stratégiques pour la transition écologique sous le prisme des règles posées par la loi et de notre interprétation ambitieuse du texte.

D’autres banques sont-elles dans votre viseur ?

Les ONG et les avocats impliqués sur ces sujets scrutent le secteur financier. D’autres établissements financiers pourraient être attaqués sur la même base du financement de nouveaux projets fossiles – étant précisé que ce ne serait pas porté par les mêmes acteurs –, ou sur une autre base, par exemple celle du soutien aux majors du secteur ou en se focalisant sur une branche précise des activités d'une banque comme l’asset management ou l’assurance.

L’Europe prépare elle aussi son devoir de vigilance. Pensez-vous qu’il vous ouvrira un champ d’action plus large ? 

Ce sera peut-être un changement de donne radical en Europe, il y a des choses ambitieuses et du très inquiétant. Certaines choses vont dans le bon sens, mais toutes les cartes sont encore sur la table et il y a beaucoup d’opacité et d’incertitudes sur le débouché des négociations sur le contenu final du texte. Les ONG tricolores ont l’expérience de la loi française, elles seront très attentives et attendues sur ce sujet jusqu’au vote. En face, le lobbying des multinationales sur cette directive est impressionnant. Et ici aussi, on imagine que les multinationales françaises sont très actives dans ce lobbying, car elles ont l’expérience d’avoir été attaquées dans leur pays ou la crainte de l’être.

 

"Une justice négociée n’est pas souhaitable sur des enjeux aussi importants"

 

Le devoir de vigilance concerne les droits humains et l’environnement. Les atteintes aux droits humains sont-elles plus faciles à prouver que celles à l’environnement ?

Oui, il est plus difficile d’agir sur le terrain des atteintes à l’environnement. Le sujet paraît moins concret, il est difficile à concevoir. C’est aussi une question de ressources : les droits de l’Homme sont un pan du droit international et du droit national plus fourni, nous avons davantage de bases sur lesquels agir. Pour l’environnement, et à plus forte raison pour le climat – qui ne faisait même pas partie du devoir de vigilance –, c’est nébuleux. Il faut encore attendre la création de bases de droit, de décisions du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel. Ces avancées nous aideront à mieux conceptualiser le sujet. 

Et parmi les atteintes à l’environnement, certaines doivent être plus faciles à conceptualiser que d’autres…

Oui, selon les cas, les questions de cause à effet sont plus difficiles à trancher. Il est aussi difficile de réussir à tout chiffrer. Les conséquences d’une déforestation sont plus faciles à matérialiser que celles d’un nouveau projet fossile. Le droit est également davantage avancé sur ce sujet, puisque l’Europe a travaillé sur la déforestation importée. Les juristes, avocats et étudiants en droit sont une source d’innovation juridique précieuse sur ces sujets.

En matière environnementale, les conventions judiciaires d’intérêt public sont-elles une bonne option ? 

Nous n’en voulons pas. Les pénalités financières sont trop faibles. Aussi, quand Les Amis de la Terre ont refusé la médiation avec TotalEnergies, c’est qu’ils ont considéré que l’affaire devait appartenir au débat public. Il n’est pas question de négocier derrière des portes closes. Une justice négociée n’est pas souhaitable sur des enjeux aussi importants, d’autant que porter ces affaires en justice permet de faire évoluer la jurisprudence.

Propos recueillis par Olivia Fuentes

Sur la photo : Justine Ripoll, responsable de campagne pour Notre Affaire à Tous

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