L’entrée dans le droit commun de la télésurveillance médicale, prévue au 1er juillet 2023, appelle à un regard critique sur les dispositifs médicaux connectés et autres applications de santé. Marguerite Cazeneuve, directrice adjointe de la Caisse nationale de l’assurance maladie présente les nouveaux cadres d’évaluation du numérique en santé.
Décideurs. Pourriez-vous présenter le rôle de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) dans l’écosystème de la santé ?
Marguerite Cazeneuve. La Cnam est l’acteur historique en charge des dépenses de santé. Celle-ci assure la solvabilité de l’ensemble des dépenses relatives à la santé en France depuis les hôpitaux jusqu’aux patients. Au-delà du remboursement des dépenses de santé, elle appuie des politiques publiques et déploie des missions, de concert avec les autres acteurs de la santé. Qu’il s’agisse de régulation de la dépense ou de l’innovation, l’une des priorités majeures de l’Assurance maladie reste de favoriser un accès égal à la santé pour tous.
En 2022, la Cnam s’est dotée d’un département télésanté et innovation numérique (DTIN). Concrètement, quelles en sont ses missions ?
L’ambition du département est de contribuer au bon développement des outils numériques et à leur intégration dans l’offre de soins. Une problématique de plus en plus récurrente est d’appréhender la façon dont le système de santé gère les interactions avec l’écosystème du numérique en santé.
Les produits de santé classiques sont soumis à des évaluations rigoureuses avant d’accéder au marché. Les outils numériques, en revanche, peuvent se retrouver directement accessibles aux patients, notamment à travers les applications. S’il existe des logiciels certifiés, une multitude d’outils numériques sont d’ores et déjà disponibles pour les patients et soignants. La priorité porte moins sur la solvabilisation que sur la régulation, au bon sens du terme. Il faut également bien assurer la conformité des solutions développées par les entreprises et structurer la montée en compétence de ces dernières.
Ce cadre est en cours de construction. En accord avec la LFSS pour 2023 (loi de financement de la Sécurité sociale), les entreprises du numérique doivent respecter des critères de sécurité, d’interopérabilité, ou encore de conformité des données. S’il s’agit ici de contrôles a posteriori de la Cnil et de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), nous sommes en train d’établir les référentiels en accord avec les recommandations de la HAS Haute Autorité de santé (HAS).
"En accord avec la LFSS pour 2023, les entreprises du numérique doivent respecter des critères de sécurité, d’interopérabilité, ou encore de conformité des données"
À terme, comment se lirait ce passage au crible des applications numériques de santé ?
On pourra imaginer que les applications seraient classées en fonction de leur conformité et efficacité. Si une application numérique de santé ne respecte pas certains critères éthiques essentiels, la Cnam pourrait demander à l’entreprise qui en est à l’origine de la retirer du marché. Les applications conformes, avec une évaluation claire du service médical rendu, pourront être référencées au sein de Mon espace santé, l’offre régalienne numérique où tous les utilisateurs pourront accéder aux informations ainsi qu’aux documents relatifs à leur parcours de soin.
Parmi les applications numériques en règle, celles alignées aves les référentiels de la Cnam, et donc les recommandations de la HAS, pourront non seulement être référencées, mais bénéficier d’un label "Mon espace santé". Cette certification aura une importance sur le marché, pour les patients comme pour les professionnels, afin d’aiguiller leurs choix entre les différentes applications numériques.
Quelles pistes envisagez-vous pour une meilleure prise en charge des Dispositifs médicaux (DM) ?
Jusqu’à présent, le processus de remboursement exigeait l’obtention de preuves cliniques avant de payer. En ce qui concerne la télésurveillance, l’Assurance maladie renverse la tendance, puisqu’on "paye pour voir". Déjà, des DM connectés ont profité d’investissements conséquents, sans que les premiers résultats cliniques aient prouvé l’amélioration pour les patients. Par là-même, nous sommes entrés dans une nouvelle phase où les entreprises de dispositifs médicaux numériques (DMN) vont devoir produire des données cliniques en temps réel afin d’évaluer le service médical rendu, et donc cerner si le DMN a vocation à être remboursé ou pas.
"Les entreprises de dispositifs médicaux numériques (DMN) vont devoir produire des données cliniques en temps réel afin d’évaluer le service médical rendu"
La France se positionne comme un pays leader en matière de télésurveillance. Nous sommes l’un des premiers États qui s’engage à un remboursement généralisé. C’est un pari sur l’avenir. Le modèle économique néanmoins n’est pas encore tout à fait évident. Nous avançons à l’unisson pour que d’ici trois ans, on puisse obtenir de vrais résultats, et savoir comment continuer, et dans quelles proportions. L’enjeu est de bien positionner le curseur en matière de populations qui bénéficieraient d’une télésurveillance, permettant par exemple d’éviter une hospitalisation. Comme toujours, il s’agira d’évaluer le service rendu afin de prioriser.
Dans cette évolution du financement du système de santé, quelle place pour la prévention ?
La prévention constitue une priorité stratégique de l’Assurance maladie, notamment pour réduire le poids des maladies évitables au profit de tous les assurés, et notamment les plus vulnérables. Il s’agit donc de faire évoluer dans une certaine mesure le financement du système de santé ; c’est là l’une des conditions pour inciter les acteurs concernés à prévenir la survenue ou l’aggravation d’affections parfois lourdes. Les outils d’intelligence artificielle tout comme les dispositifs médicaux numériques pourront y contribuer, en offrant des solutions adaptées à la situation des patients dans un cadre financier dont la construction est à poursuivre.
Propos recueillis par Alexandra Bui