Depuis la réglementation sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) par la transposition de la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) ainsi que le développement du droit pénal environnemental et son durcissement par la loi « Climat & Résilience », les décideurs, d’entreprises ou de personnes publiques, ont une responsabilité accrue.
La protection de l’environnement est cardinale et imprègne l’ensemble du droit, y compris, pour plus d’efficacité, dans son volet répressif et pénal, notamment à l’égard de personnes morales (principalement les sociétés et collectivités territoriales) mais également leurs dirigeants et décideurs. La réglementation « ESG » impulsée par la directive CSRD de l’Union européenne et transposée en droit français par l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023, principalement dans le Code de commerce, n’a pas été accompagnée d’un nouveau régime de responsabilité et de sanction des dirigeants d’entreprises commerciales. Ses apports sont donc limités, d’autant plus que le cadre pénal environnemental couvrait déjà certaines normes de ladite réglementation et que la seule nouveauté reste l’introduction du devoir de vigilance.
Ces normes ne sont pas toujours accompagnées des moyens pour en permettre l’effectivité mais leur répression peut sembler sévère à l’égard de porteurs de projets
Pour autant, plus généralement, la Loi « Climat & résilience » de 2021 a permis d’étendre le corpus pénal environnementalavec, d’une part, un durcissement général des sanctions déjà applicables et, d’autre part, la création de nouveaux délits et peines correspondantes. Ainsi, ont notamment été ajoutés au Code de l’environnement les délits de mise en danger de l’environnement, d’atteinte à l’environnement (y compris la pollution des milieux physiques et biologiques), le délit d’abandon de déchets et, enfin, le délit d’écocide en cas d’atteinte grave, intentionnelle et durable à la santé, la flore, la faune, la qualité de l’air, du sol ou de l’eau.
Une responsabilité pénale accrue
Dans ce cadre évolutif, et alors que le droit pénal environnemental s’impose à toute personne publique, privée, morale et physique, la responsabilité pénale du décideur peut être poursuivie, bien que ce soit le plus souvent la responsabilité pénale de la personne morale qui soit recherchée. En effet, bien que l’article 121-1 du Code pénal prévoie le principe de responsabilité personnelle, il est admis une présomption de faute à l’égard du chef d’entreprise : il luiincombe de surveiller la bonne application des réglementations en vigueur dans son entreprise.
Par exemple, pour les suites judiciaires de la catastrophe de l’usine AZF en 2000, la Cour d’appel de Toulouse a reconnu tant la responsabilité pénale de l’entreprise personne morale que celle de son dirigeant. Néanmoins, le dirigeant peut s’exonérer de sa responsabilité pénale personnelle s’il apporte la preuve d’une délégation de pouvoir.
Si la responsabilité pénale personnelle des décideurs privés peut être engagée, il en va de même pour les décideurs publics (élus et dirigeants) qui sont soumis au droit pénal commun : le secteur public se pénalise progressivement et leurs actions ou omissions ayant mené à la survenance de dommages environnementaux peuvent suffire à engager leur responsabilité personnelle. Pour engager la responsabilité propre de l’élu, il faut que celui-ci ait commis une faute d’imprudence, de négligence vis-à-vis d’une obligation environnementale et qu’il ait été établi qu’il n’a pas accompli les diligences normales que sa fonction, ses pouvoirs auraient dû lui dicter. Néanmoins, les agents publics concernés, ainsi que, dans le cadre des sociétésparapubliques (SEM et SPL), les décideurs porteurs de projets encourent des peines dues à la réalisation de projets d’aménagement constitutifs d’atteintes à l’environnement, par exemple dans le cadre d’une destruction d’une espèce protégée en l’absence de dérogation, voire la destruction de son habitat.
En plus du droit pénal environnemental, droit pénal spécial du Code de l’environnement, le droit pénal général permet lui aussi d’engager la responsabilité des décideurs comme le délit de mise en danger de la vie d’autrui qui découlerait d’une atteinteà l’environnement. Ces éléments supposent une gestion internalisée (par exemple une politique RSE) du risque pénal environnemental avec une sécurisation accrue des projets porteurs d’incidences sur l’environnement, qu’il s’agisse d’un milieu ou d’une espèce (par exemple dans le cadre de l’autorisation environnementale et de l’étude d’impact, qui doit être exhaustive en matière d’espèces protégées).
Des condamnations de décideurs peu fréquentes
Néanmoins, en cas d’infraction, plusieurs alternatives aux poursuites existent sur le fondement des articles 41-1 et suivants du Code de procédure pénale, lesquelles tendent à privilégier, outre des réparations pécuniaires, la réparation du dommage, qui prend le plus souvent la forme d’une compensation.
De sorte que, si les poursuites deviennent de plus en plus systématiques à leur encontre, les condamnations des décideurs à des peines d’emprisonnement se font plus rares. La compensation, pécuniaire ou « écologique », reste la première des sanctions. Tout d’abord, le classement sous condition permet, pour des contraventions ou délits d’une gravité limitée, de classer l’affaire sous certaines conditions qui doivent être mises en oeuvre par l’auteur, notamment régularisations et réparations (compensations). Ainsi, les poursuites ne seront engagées que si l’auteur ne respecte pas les conditions prévues initialement.
De plus, si l’auteur de l’infraction reconnaît sa culpabilité, il peut éviter le procès grâce à la composition pénale contre réparation. Il existe un système similaire applicable aux personnes morales : les conventions judiciaires d’intérêt public en matière environnementale6, permettant un classement de l’affaire par extinction de l’action publique en contrepartie du versement d’une amende d’intérêt public, d’une régularisation de la situation et de la réparation du préjudice écologique résultant de l’infraction.
Enfin, pour les personnes physiques et personnes morales, la « transaction environnementale », proposée par l’Autorité administrative, peut être mise en parallèle avec une alternative aux poursuites : elle concerne les contraventions ainsi que certains délits environnementaux, peut être mise en oeuvre tant que l’action publique ne l’a pas été et prendre la forme d’une transaction, conclue entre l’auteur et l’administration, qui devra être homologuée par le procureur de la République.
Sur les auteurs
Maître Nicolas Charrel est avocat fondateur et président du cabinet Charrel & Associés (SELAS interbarreaux : Montpellier, Paris, Marseille, Toulouse). il est également médiateur près des juridictions administratives et judiciaires. Maître Pierre Pelissier est avocat collaborateur (barreau de Montpellier).